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Geobunnik

Le blog d'un enseignant qui prépare au CAPES et au CRPE en géographie à l'ESPE de Corse à Ajaccio et Corte.

Christophe GUILLUY, la France périphérique

Publié le 9 Juin 2015 par geobunnik in epistemologie de la géographie

Christophe GUILLUY, la France périphérique, Flammarion, 2014, 185 pages.

Voici un livre de géographie qui a eu le mérite de faire parler de lui par son regard décalé sur la ville. Unn regard peut-être un peu trop décalé de la part d'un géographe (sans attache universitaire) qui s'intéresse d'abord aux aspects sociaux de la ville. Comme dans tout travail, tout n'est pas à jeter et tout n'est pas à prendre pour argent comptant.

En même temps, je tiens à préciser que si ce livre est bien un livre de géographie, il s'agit plus de géographie politique que de géographie sociale, malgré le titre et le discours de l'auteur. Ainsi, le sujet du livre est-il la France périphérique ou le Front National ? La fracture sociale décrite est-elle si forte ou est-elle exagérée (ce qui ne veut pas dire que cette fracture existe, nous le savons tous) ? Enfin, peut-on limiter l'étude de la France périphérique à une charge voilée (sans jeu de mot) contre les immigrés et les banlieues ?

L'idée de départ de Christophe Guilluy est, comme d'autres (je pense à Jacques Donzelot dans la France à trois vitesses ou aux travaux de Jean Viard), de découper la ville en trois territoires : le centre, les quartiers et les périphéries. Ce sont ces derniers territoires, périphériques, qui intéressent l'auteur de cet essai. Il évoque une France « invisible et oubliée où vit la majorité de la population » (p. 11) … c'est un peu moins que l'INSEE qui compte 10,2 millions de personnes dans ces territoires.

 

Dès le premier chapitre, Christophe Guilluy concentre son étude sur les classes moyennes qui, selon lui, ne se concentrent plus dans les banlieues mais dans les périphéries des villes suite à une volonté politique. Il explique qu'il faut dépasser ce concept de classe moyenne, trop large et subjectif ; dépasser l'idée de frontière entre urbain et rural (ce à quoi 'accordent tous les géographes) et qu'il faut lire les périphéries comme des territoires de l'exclusion (… ce qui paraît un peu exagéré au seul prisme économique et social : si certaines périphéries sont bien des territoires de l'exclusion, d'autres forment des zones de richesse). Une lecture qui semble critique, mais qui porte en elle déjà un présupposé fort : les périphéries vont devenir la menace politique et sociale majeure des prochaines années.

 

Le deuxième chapitre se veut utile et plus scientifique en proposant un « indicateur de fragilité sociale » autour de 8 critères permettant justement de séparer un périurbain choisi d'un périurbain contraint : la proportion d'ouvriers dans la population active, celle d'employés et ouvriers, la place du temps partiel, des emplois précaires, des chômeurs, des propriétaires occupants précaires dans la population, les revenus et enfin l'évolution de la part des ouvriers-employés de 1990 à 2010. Il en ressort que 70 % des communes et 65 % de la population du pays se retrouve dans un état de fragilité. Un chiffre impressionnant, volontairement impressionnant. En gros, tout ce qui n'est pas au cœur des métropoles est fragile pour l'auteur : il sera plus facile pourle lectuer de s'y indentifier.

 

Le troisième chapitre est donc l'occasion de s'attaquer à la métropolisation en France en s'appuyant sur les travaux de Laurent Davezies et Pierre Veltz. Pour cela, Christophe Guilluy rappelle l'impact de la libéralisation économique sur les territoires métropolitains : polarisation, inégalités spatiales, recompositions socio-spatiales, clivages sociaux qui deviennent parfois ethniques. Tout cela montrant selon lui un effacement du modèle républicain traditionnel.

 

Dans le chapitre suivant, l'auteur évoque une France qui gronde et prend pour exemple les manifestations des 'bonnets rouges' présentés ici comme représentation du peuple (en fait, un certain peuple, celui des petits patrons qui voudraient garder leurs petits avantages économiques et plutôt conservateurs). Il liste ensuite les plans sociaux pour montrer que ces licenciements ont touché (fort logiquement) la France industrielle rurale et périphérique (quoique le sens du mot rural est à nuancer : un rural fortement urbanisé et industrialisé). Ceux qui sont le plus touchés, selon Guilluy, ce sont les petits propriétaires qui voient leur bien foncier se dévaluer avec la fermeture de l'usine … ce qui amène ces personnes à voter Front National. Pour justifier ces propos, l'auteur expose les cas du canton de Brignoles, prototype de l'espace périurbain subi, d'une partie du département de l'Oise. Cette démonstration aboutit à une typologie du vote FN en trois territoires : un FN du Nord et de l'est (qui prospère sur la pauvreté et la désindustrialisation), un FN du sud (qui prospère sur une crise identitaire et un FN de l'ouest plus mal défini.

 

Cette analyse est continuée dans le chapitre 5 qui lit les derniers résultats électoraux sous l'angle de la défiance des classes populaires face aux classes supérieures. Christophe Guilluy critique alors les choix stratégiques du parti socialiste et de l'UMP qui se sont tournés vers les gagnants de la mondialisation en oubliant les perdants. Le PS serait donc le parti des métropolitains, des fonctionnaires et des retraités, l'UMP le parti des catégories supérieures et des retraités et le FN le parti des perdants de la mondialisation : ouvriers, employés, chômeurs, le parti des actifs (et les autres partis?). Une analyse peut être un peu trop simple mais qui permet de souligner une réalité : une césure entre les citoyens et les les choix sociaux ou économiques des élus depuis quelques années (peut-on remonter à Maastricht 1992 ?)

 

Continuant son étude, C. Guilluy oppose une France mobile (les classes supérieures) à une France immobile en incluant toutes sortes de mobilités (de travail, de vacances, migrations internationales, déménagements), une confusion qui est sensée nous faire comprendre que les enfants d'immigrés et les immigrés ont plus de chance de réussir que les 'petits blancs' des périphéries urbaines … comme si les deux groupes n'étaient pas liés et soumis aux mêmes pressions sociales et économiques !

 

J'ai aimé lire le chapitre 7 sur le village … que Christophe Guilluy imagine plus comme un fortin, un refuge (et don les valeurs qui sont portées par ces deux mots). En effet, dans ce chapitre l'auteur se dévoile plus encore que lors du chapitre précédent : s'il dénonce à juste titre l'enfermement progressif de notre population dans des enceintes privées ou privatisées, ces 'villages communautaires', c'est pour justifier sa défiance vis-à-vis des immigrés accusés de s'appuyer sur un « hinterland culturel externe » (comme le dénonçait déjà Hervé Le Bras dans L'invention de l'immigré … il semble que pour Christophe Guilluy l'immigré ne devient donc jamais vraiment français car toujours lié à un territoire extérieur) et créateurs selon lui d'une « insécurité culturelle » pour les autres populations (à lire comme les 'petits blancs' qui se sentent désormais minoritaires dans leur propre pays. Tout cela abouti à une division de la France en trois groupes : une France périphérique et populaire (= les gentils qui sont obligés par les autres de voter FN), des banlieues ethnicisées (des veinards qui ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont de vivre en HLM) et des métropoles mondialisées et gentrifiées (des bobos qui n'ont pas conscience de vivre dans un monde réel et qui jouissent de tous les conforts dans leur bulle).

 

Toute cette analyse semble donc incomplète et finalement contre-productive : les dynamiques internes (migrations inter et infra-régionales) ne sont pas utilisées lors de la démonstration tout comme l'importance des changements sociaux qu'a connu la France depuis les années 1970. Il convient de rappeler que la France a connu depuis une quarantaine d'année des bouleversements sociaux et spatiaux majeurs : désindustrialisation et baisse (plutôt que fin) du fordisme, revalorisation de la place des jeunes et des femmes dans la société, importance des mobilités urbaines, ouverture du monde par la mondiaisation, etc. Des changements qui ont fragilisé une catégorie particulière de la société : les hommes blancs (qui n'ont plus le monopole de l'autorité, du choix politiqueou de l'emploi, comme depuis le XIX° siècle).

Ainsi, durant ces années, les périphéries ont glissé au cœur des enjeux politiques et sociaux sans que les autres territoires n'en ai pris conscience. On sait depuis une vingtaine d'années comment, dans les couronnes périphériques des villes, le pouvoir politique a glissé des familles des anciens villageois à des 'néo-ruraux' qui ont une vision, un vécu et une perception très différente de la périphérie urbaine : ce sont des urbains qui ne regardent la campagne que le week-end et qui regardent vers la ville le reste du temps (travail, loisirs, consommation). Ce qui change, et ce que C. Guilluy ne prend pas en compte, c'est que leurs enfants ont fait société dans ces territoires créés depuis les années 1970 ou 1990 selon les régions et les métropoles. Si les parents sont parfois (trop souvent) enfermés dans ces territoires périphériques, leurs enfants ne le sont pas et peuvent bouger pour travailler et vivre ailleurs (ce qui ne les empêche pas de rêver de revenir habiter dans un territoire périurbain).

Cette France périphérique est-elle condamnée à n'ête étudiée que sous l'angle de la laideur (cf la célèbre une de Télérama de 2008) ou du vote FN ? Il semble que Christophe Guilluy ne fait que reproduire ce qu'il dénonce : un regard de classe sur un territoire qu'il comprend mal.

Enfin, cette France périphérique est-elle une France de 'petits blancs' que l'on peut opposer aux immigrés et à leurs enfants ? C'est là la principale faiblesse de ce livre, trop enclin à défendre les premiers et à relativiser les problèmes des seconds.

 

 

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I
Merci pour votre vision objective de ce livre polémique. Pour avoir une approche plus nuancée du périurbain, mieux vaut se plonger dans le roman d'Olivier Adam, les lisières. L'auteur nous livre une vision très personnelle de la grande banlieue, mais aussi une réflexion sur les marges et la ségrégation socio-spatiale.
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