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Geobunnik

Le blog d'un enseignant qui prépare au CAPES et au CRPE en géographie à l'ESPE de Corse à Ajaccio et Corte.

Les frontières de l'Inde

Publié le 24 Juin 2017 par geobunnik in L'Union Indienne

Introduction :

L'introduction est un moment clé où il faut faire ressortir des notions majeures destinées à être réutilisées par la suite, notamment dans et par la problématique. Je les ai mises en gras. Attention, je ne fais que lancer des pistes, tout n'est pas à mettre dans une introduction, cela dépend de sa problématique, de son regard sur ce sujet. Cependant, il ne faut pas oublier qu'un sujet des écrits du capes est destiné à être le plus large possible.

  • Il faut définir le terme de « frontière » :
    • Celui-ci désigne une ligne de rupture boundary » en anglais) entre deux territoires différents, soit parce qu'ils appartiennent à des entités politiques différentes (État, région, province, commune, …) soit parce qu'ils appartiennent à des ensembles homogènes différents, basés sur des critères ethniques, religieux, linguistiques ou encore socio-économiques. Cette frontière est issue de contacts et d'accords politiques. Elle est alors matérialisée par des bornes, une clôture, voire un mur et peut être traversée à des points de passage précis ou sur toute sa longueur (libre-échange). Des frontières terrestres très longues : 14 ou 15 000 km de long selon les sources (4° pays au frontières terrestres les plus longues, derrière la Russie, la Chine et le Brésil). Cette ligne de rupture peut servir de refuge le cas échéant pour des populations voisines qui viennent trouver asile en Inde (Tibétains autour du Dalaï-lama à Dharmsala dans l'Himachal-Pradesh ; Tamoul durant la guerre civile du Sri Lanka dans le Kérala ; …) [Attention, ne pensez pas que les frontières de l'Inde sont naturelles : l'Himalaya est certes une montagne, mais ce n'est pas parce que c'est une montagne que c'est une frontière : les frontières sont avant tout politiques]
    • Cependant, le terme de frontière désigne aussi un territoire, un front (« frontier » en anglais), un territoire à exploiter, un horizon politique à atteindre ou à défendre. On est alors dans un jeu politique mais surtout dans des représentations, des imaginaires collectifs forts. Dans cette logique, le front est un lieu de conflictualités plus ou moins fortes entre groupes plus ou moins équilibrés. Cette conflictualité peut prendre la forme de guerre (1947-49+ 1965 + 1987 + 1999 au Cachemire) ou de guérilla (dans le Nord-est de l'Inde ou dans les régions marquées par la rébellion naxalite).
  • En Inde, le sens du mot est double : il sert à exprimer cette rupture, parfois forte (comme avec le Bangladesh, une dyade très marquée, en voie de stabilisation et de « wallification », de durcissement) et un territoire,
    • comme dans l'Himalaya où le Népal, le Bhoutan ou le Cachemire apparaissent comme des territoires d'influence indienne dans lesquels l'Union Indienne entend bien asseoir sa puissance. Des territoires périphériques, peuplés de minorités et qui sont le lieu d'échanges, de commerce, de trafics légaux ou illégaux mais aussi de migrations plus ou moins légales.
    • mais aussi comme dans l'océan Indien dans lequel l'Inde use de sa position dominante jusqu'à l'île Maurice, soit de manière douce (soft power) soit par la force (hard power, interventions militaires, comme aux Maldives en 1988). Il faut donc penser aussi au frontières maritimes de l'Inde au delà de la Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 miles marins.

 

  • Il faut aussi expliquer pourquoi ce terme de « frontières » est au pluriel :
    • Le terme utilisé au pluriel incite à élargir le sujet à tout types de frontières, il incite à réfléchir à la diversité des frontières (sans aller forcément et automatiquement vers une typologie des frontières). Si le sujet est éminemment géopolitique, il ne faut pas le limiter au frontières étatiques de l'Union indienne. Ce sujet englobe les divisions intérieures de l'Inde : frontières entre États de l'Inde, frontières religieuses, ethniques, tribales, mai aussi des frontières urbaines entre quartiers pauvres (bidonvilles, slums) et quartiers riches, isolés (des gated communauties), quartiers entourés de murs de palissades ou de grillages formant de véritables frontières plus ou mois bien acceptées par les populations.
    • Enfin, on peut élargir aussi le sujet au frontières éloignées de l'Inde. La mise en réseau des populations via les mobilités et les moyens de communication repousse les frontières de l'Inde au delà du sous-continent du même nom. On peut légitimement intégrer dans ce sujet la diaspora indienne par sa capacité à recréer une frontière de l'Inde au delà du pays, mais surtout par la construction par les NRI (Non Resident Indians) d'une représentation simplifiée et imaginée de l'Inde, un groupe uni et idéal sans frontières internes et au frontières extérieures idéalisées par leur conception de l'hindouité.
    • Ce pluriel pousse à penser le sujet à différentes échelles : État, régions, villes, sous-continent, océan Indien.
    • Ces deux dernières remarques ouvrent le sujet sur la vision que les acteurs géographiques ont du territoire et de la frontière. Le sujet est donc bien géopolitique, mais faut se garder de le cantonner dans ce registre uniquement, d'autant plus que la perception de la frontière en Inde (comme dans toutes les communautés humaines), répond à une culture proche (celle du 20° siècle) dans laquelle la frontière a une place particulière : l'indépendance de 1947 a été accompagnée par une partition douloureuse durant laquelle en quelques mois 12 millions de personnes ont été déplacées entre Pakistan et Inde et durant laquelle 1 million de personnes ont perdu la vie. Cette même partition, vécue comme un traumatisme a été suivie par une guerre violente entre Inde et Pakistan autour du contrôle du Cachemire (1947-49). Une importance de la frontière renforcée par la présence au nord du pays d’États-tampons sous influence indienne mais dans lesquels l'influence chinoise ne fait que se renforcer.

 

  • Enfin, faut-il définir l'Inde ?
    • Pas réellement, si ce n'est à travers les différentes frontières décrites ci-dessus. Il faut voir le sujet avec un regard géographique : l'Inde est un État, donc …
      • habitée par des populations variées qui acceptent plus ou moins bien cette diversité ou qui vivent mal des changements d'équilibre entre groupes sociaux, ethniques ou religieux. La frontière peut alors devenir refuge ou menace.
      • un acteur politique particulier, une démocratie, une puissance militaire et économique, un pays émergent aussi.
      • un État qui doit composer avec ses voisins à l'échelle du sous-continent → l'Inde a des frontières avec 6 États (Pakistan, Bangladesh, Birmanie, Népal, Bhoutan, Chine) mais elle est proche aussi des Maldives, des Seychelles, de l'île Maurice, ... : des puissances inégales au yeux desquels l'Inde peut apparaître comme un concurrent ou un géant encombrant ;
      • avec des frontières politiques instituées, plus ou moins acceptées par ses voisins et plus ou moins traversées. Si on ne parle pas de territoires transfrontaliers dans la littérature géographique sur l'Inde, il existe des zones d'échange forts sur la dyade indo-népalaise [Vingt-six points de passage, quinze routes de transit vers les ports indiens et une vers le Bangladesh ont été définis pour organiser les échanges de biens entre les deux pays : Voir http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part3/les-liens-de-la-frontiere-enjeux-des-circulations-autour-de-la-frontiere-indo-nepalaise?page=4] ;
      • Pour bien réfléchir aux enjeux géopolitiques de l'Inde (même si l'article date de 1997), on peut (re)lire l'article de Jean-Luc RACINE Les paramètres de la géopolitique indienne dans le Bulletin des l'Association des Géographes Français n° 1997-2, volume 74 pages 156-159. (http://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1997_num_74_2_1965)

 

  • Comment problématiser le sujet ?
    • On peut partir de la normalisation des relations avec les pays voisins, ou la tentative de normalisation, comme le propose Gilles BOQUERAT dans un article, L'Inde et ses voisins : le laborieux passage de la confrontation à la coopérationPolitique étrangère 3/2009 (Automne) , p. 571-584. Il conclue son article ainsi : « Le défi régional, pour l’Inde, est de se faire accepter comme une puissance soucieuse de ses intérêts mais néanmoins bienveillante et œuvrant à la stabilité de la zone. Bref, de passer d’une dynamique de confrontation à un esprit de coopération. »
    • On peut expliquer que les frontières de l 'Inde constituent des marges difficiles à pacifier ou à organiser.
    • On peut se demander si le nationalisme hindou (autour du concept « d'hindouité ») ne favorise pas un renforcement des frontières depuis une quinzaine d'années.
    • Autour de la violence ? (violences pour protéger le territoire ou l'agrandir)
    • Autour de la fermeture des frontières ? (à mon avis peu valable, au contraire) ou plutôt sur le renforcement actuel des frontières de l'Inde.
    • Habiter les frontières de l'Inde : vivre en marge de l'Inde ?
    • Autour de l'émergence qui pousse l'Inde à définir sa puissance de manière plus douce tout en stabilisant ses relations avec ses voisins malgré les différends frontaliers. Un exercice de style que réussit le BJP qui pousse au nationalisme tout en s'accordant avec les Pakistanais et les Chinois sur des sujets économiques …

 

  • Quelles informations trouver dans cette composition ?
  1. La gestion de la frontière est d'abord liée à des choix d'acteurs, des choix qui incluent des représentations, notamment celle du nationalisme hindouiste.
  2. Ce nationalisme est confronté à de multiples frontières intérieures qu'il a du mal à contrôler.
  3. Cependant, il semble exister une unité nationale dans la gestion des frontières extérieures.

 

1- La gestion de la frontière est d'abord liée à des choix d'acteurs, des choix qui incluent des représentations, notamment celle du nationalisme hindouiste.

a- Des acteurs politiques marqués par le poids de l'histoire nationale de l'Inde

  • La notion de frontier dans l'imaginaire politique anglo-indien
  • La difficile création de l’État indien
  • la violence du conflit indo-pakistanais
  • le poids de la démographie dans les choix politiques indiens (et des voisins)

b- Une multitude de groupes au représentations divergentes

  • le nationalisme hindou et le BJP
  • la place des musulmans dans la société indienne
  • le rôle des castes dans la division socio-spatiale de l'Inde
  • les tribus
  • le poids de la diaspora dans la représentation de l'unité indienne.

c- Une démocratie qui doit prendre en compte les revendications de chacun

  • Un système fédéral qui favorise la mise en frontière de l'Inde (mise en frontière = notion issu des linguistes)
  • Une démocratie dans laquelle les groupes ethniques sont appelés à se redéfinir pour former des frontières ethniques ou religieuses.

2- Ce nationalisme est confronté à de multiples frontières intérieures qu'il a du mal à contrôler.

a. Des frontières régionales toujours plus nombreuses

  • Une balkanisation de l'Inde ?
  • Croquis de l'évolution régionale en Inde

b- Dans les villes, des frontières sociales toujours plus marquées

  • L'enjeu de la pauvreté dans les villes indiennes
  • la place des bidonvilles / slums en Inde et l'enfermement des quartiers pauvres
  • le développement des quartiers résidentiels fermés en Inde

c- Dans les périphéries, des frontières violentes

  • le mouvement naxalite
  • les autres mouvements régionalistes du nord-est de l'Inde

3- Cependant, il semble exister une unité nationale dans la gestion des frontières extérieures.

a- Une coopération avec des pays voisins pour stabiliser les frontières

  • La dyade avec le Bangladesh : s'entendre pour mieux contrôler la frontière (mur)
  • la gestion en commun des fleuves : coopérer pour partager.

b- La frontière du nord, un territoire indien ?

  • le Sikkim
  • les « seven sisters » et l'Arunachal-Pradesh
  • L'enjeu du Cachemire

c- Au delà de l'Inde, des nouvelles frontières ?

  • Coopérer avec les voisins : la SAARC
  • L'Océan indien, une nouvelle frontière ?
  • La diaspora indienne : déplacer la frontière ?

1- La gestion de la frontière est d'abord liée à des choix d'acteurs, des choix qui incluent des représentations, notamment celle du nationalisme hindouiste.

 

a- Des acteurs politiques marqués par le poids de l'histoire nationale de l'Inde

  • La notion de frontier dans l'imaginaire politique anglo-indien :
    • Jusqu'en 1947, la « North East Frontier » (située en Afghanistan) est la limite nord-est de l'empire des Indes. Un carrefour autour de Peshawar que les autorités anglo-indiennes tentent d'occuper car il constitue un carrefour commercial mais aussi la porte d'entrée des envahisseurs de l'Inde (sauf pour les européens du VII° siècle venus par bateau).
    • Une réalité jusqu'au milieu du XX° siècle (et encore aujourd'hui pour les Pakistanais dans les territoires du nord-ouest sur la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan (zone tribales ou régions tribales)
    • Cette réalité est identique dans le nord-est de l'Inde, dans les États himalayens surnommés les « seven sisters » : Arunachal-Pardesh, Assam, Nagaland, Manipur, Maghalaya, Tripura, Mizoram. Les autorités britanniques ont encouragé dans ces périphéries le développement des identités locales. Dans ces États, le droit coutumier se substitue en partie au droit commun et l'accès à la propriété foncière est restreint au membres d'une tribu. (Article Nord-Est (de l'Inde), Philippe RAMIREZ dans Frédéric LANDY, Dictionnaire de l'Inde contemporaine page 359-360)
    • De même, pour les autorités politiques indiennes, l'Himalaya apparaît comme une frontière à préserver. Cela se mesure par les aides économiques, l'aide humanitaire (séisme au Népal en avril 2015), la construction de routes vers ces territoires périphériques ou encore des accords commerciaux (comme avec le Népal depuis l'indépendance, un accord relancé en 1990 après une crise politique entre les deux pays).
    • Cette vision de la frontière himalayenne n'est pas sans poser problème à ces petits États (Népal, Bhoutan) pris entre la pression indienne au sud et la pression chinoise au nord.

 

  • La difficile création de l’État indien
    • la frontière est aussi au cœur d'un « traumatisme indien » : la partition des Indes entre Pakistan et Inde les 14-15 août 1947 reste une plaie béante dans la mémoire collective indienne.
    • « Ainsi l’Inde gagna sa liberté mais perdit son unité », tel est le regret exprimé par Maulana Azad, nationaliste musulman, Président du Congrès jusqu’en 1946 (Azad, 1988). Ce fut pour lui et pour de nombreux nationalistes indiens la fin d’un rêve : celui d’une Inde indépendante et unie. (source : Dalal Benbabaali, « 60 ans d’Union Indienne ? », EchoGéo, Sur le Vif, mis en ligne le 09 octobre 2007)
    • Cette partition est associée à :
      • 1 million de morts dans les violences qui ont suivi la partition.
      • 12 à 15 millions de déplacés entre Pakistan et Inde et inversement (selon les sources).
      • un recul territorial, des pertes importantes.
      • Dans son article consacré à la question, Lionel BAIXAS (« Entre l'Inde et le Pakistan », Transcontinentales n°6, 2008) explique que cette mémoire a été instrumentalisée pour des visées nationalistes. Les Indiens présentent alors la partition comme une traîtrise de la part d'un minorité religieuse permettant d'imposer l'idée que désormais deux nations cohabitent, fondées sur des critères d'unité religieuse (« théorie des deux nations »). Selon Lionel BAIAS, cette vision a été diffusée par l'institution scolaire. Les violences politiques liées à la partition sont alors imputées à l'Autre, les Pakistanais. Une mémoire encore très présente de nos jours.
      • Cette partition reste très ancrée dans les mémoires et les représentations des acteurs encore aujourd'hui. Outre l'enseignement et le discours politique, on trouve les traces de cette mémoire dans la littérature (Train to Pakistan de Khushwant SINGH, 1956 devenu un film en 1999 [https://www.youtube.com/watch?v=BS7jl-OsxhQ]) et dans le cinéma. 

 

  • la violence du conflit indo-pakistanais
    • Lors de la partition, le cas de trois États est remis à plus tard : le Penjab, le Bengale (ou Pakistan Oriental jusqu'en 1971) et le Cachemire. Si le cas des deu premiers états est réglé en 1947 (dans la violence, voir ci-dessus, le cas du Cachemire est plus complexe : le maharaja hindou Hari SINGH décide (certainement dans le but d'accéder ensuite à l'indépendance) de rejoindre l'Union Indienne plutôt que le Pakistan, alors qu'une majorité de musulmans vit dans son royaume. L'invasion de troupes venues du Pakistan le pousse alors à demander de l'aide à l'Inde qui intervient aussitôt. Le conflit dure jusqu'en janvier 1949 lorsqu'un cessez-le-feu est signé entre les deux États sous l'égide des Nations Unies. La séparation entre les deux armées prend alors le nom de « ligne de contrôle ». Il est alors décidé qu'un référendum réglera le sort de cette région, référendum jamais organisé.
    • Il en subsiste une frontière dessinée par la force, durcie et confortée progressivement. Ainsi, si chaque État développe une rhétorique sur l'unité du Cachemire, celui-ci est bel est bien coupé en deux entités distinctes alimentant le discours nationaliste indien.  

 

  • le poids de la démographie dans les choix politiques indiens (et des voisins) 
    • les représentations des acteurs politiques indiens et de leurs voisins sont marqués par le poids démographique de l'Inde, un géant démographique qui peut effrayer ses voisins.
    • L'Inde compte 1,2 milliards d'habitants (2011), avec des densités très fortes, notamment dans la vallée du Gange (plus de 700 habitants par km²), à quelques dizaines de kilomètres du Népal ou du Cachemire.
    • La croissance démographique de l'Inde est aussi rapide (+ 17,7 % entre 2001 et 2011, soit une augmentation de 181 millions de personnes en 10 ans.
    • Ce poids est à comparer aux populations du Népal (28 millions d'habitants en 2013 ; du Bhoutan, 750 000 ; Maldives 260 000 ; Sri Lanka 21 M ; mais aussi du Pakistan 180 M et du Bangladesh 156 M en 2013)

 

  • Le rôle de l'armée dans la gestion des frontières de l'Inde :
    • Il ne faut ni minimiser ni exagérer le rôle de l'armée indienne dans la gestion des frontières de l'Inde. Dans ce pays, l'armée n'a jamais cherché à accéder au pouvoir par la force (comme au Pakistan ou en Birmanie) ni à contrôler le pouvoir politique (comme en Chine actuellement). Cependant, l'armée est un acteur important de la gestion des frontières internes et externes de l'Inde.
    • L'armée peut ainsi intervenir dans des conflits intérieur : la rébellion naxalite ou les mouvements violents du Nord-est par exemple. Elle est aussi intervenue dans la défense des frontières lors de conflits internationaux. Enfin, l'armée dispose depuis 1974 de l'arme nucléaire, ce qui peut faire peur à certains voisins n'en disposant pas. On sait que depuis 1998 le Pakistan dispose aussi de cette arme de destruction massive, élément favorisant peut-être une glaciation ou une solidification de la frontière entre les deux pays, notamment au Cachemire.

 

b- Une multitude de groupes au représentations divergentes

  • Le nationalisme hindou et le BJP : 
    • L'hindouisme est une religion éminemment géographique qui marque les territoires comme les habitants, créant de fait des frontières entre ces territoires et entre les personnes :
      • le temple est un lieu central, lieu de rencontre de la communauté. Chaque temple est lié à une communauté.
      • Les pèlerinages (« yatra ») : Chaque pèlerinage est spécialisé dans sa fréquentation (géographique et sociale) et dans son objet, celui étant très variable pouvant être trivial (fertilité, thérapeutique, …) ou l'expression d'une haute spiritualité.
      • L'ermitage (ou « ashram »), lieu des renonçants, comme les nagas, ascètes nus.
      • La recherche de pureté qui pousse à séparer dans les villages les territoires spécifiques au différentes jati : chaque varna est séparée des autres pour des raisons de recherche de pureté. Exemple : un village du Maharashtra (in Frédéric LANDY et Aurélie VARREL, L'Inde, du développement à l'émergence, A. Colin, 2015, page 72)
    • Depuis une trentaine d'années, le BJP influence fortement les représentations politiques nationales de l'Inde. Il a accédé au pouvoir entre 1998 et 2004 puis de 2014 à nos jours. Ce parti nationaliste hindou se pose en garant de la défense des intérêts hindous en Inde. Il soutient notamment la construction d'un temple dédié au dieu hindou Rāma sur l'emplacement de la mosquée de Babri (ou Babri Masjid) à Ayodhya (Uttar Pradesh). En décembre 1992, la mosquée avait été rasée par des activistes hindous encadrés par des extrémistes hindous proches du BJP.

 

  • La place des musulmans dans la société indienne
    • Elle est, dans ce cadre, problématique. Les musulmans de l'Inde sont environ 180 millions (14,4 % de la population au recensement de 2011). Ils sont minoritaires partout sauf au Cachemire. Les musulmans sont majoritaires dans le Lakshadweep (îles Laquedives) et dans l’Etat de Jammu-et-Cachemire. Le pourcentage de musulmans est important dans l’Assam (30,9 %), le Bengale occidental (25,2 %), le Kerala (24,7 %), l’Uttar Pradesh(18,5 %) et le Bihar (16,5 %).
    • Ce groupe nombreux pose un problème identitaire et politique en Inde, source de nombreuses tensions, tensions avivées par le fait que ce groupe est considéré comme inférieur par une grande partie de la population, ce qui l'empêche d’accéder à certains emplois ou fonctions : leur plus faible niveau d'education (seulement 60 % de taux d’alphabétisation contre 65 % au niveau national) se traduit pas un plus faible niveau d'emploi dans les emplois décisionnels, les administrations, le chemin de fer (4 % des emplois pour 14 % de la population), les banques (2 %) ou la poste (3%).

 

  • Les tribus :
    • Elles aussi sont source de divisions et de création de frontières internes en Inde. La notion de tribu est récente : ce sont les britanniques qui, au XIX° siècle, décident de regrouper sous ce vocable des groupes ethniques varies dans un double objectif : d'une part protéger ces minorités et leurs modes de vie (souvent nomade, des groupes isoles et peu nombreux) et d'autre part exploiter leurs terres souvent riches en ressources naturelles (mines et forets). En 1936, l'imperial act dresse une liste de « tribus primitives » associées a des zones d'exclusion pour les non-tribaux. Cette liste est transformée en 1950 (Constitution) en tribus répertoriées (Scheduled Tribes) et en liste des Zones Répertoriées (Scheduled Areas). Environ 104 millions de personnes sont comptabilisées comme appartenant a une de 705 tribus (soit 8,6 % des Indiens).
    • Cette séparation a créé de fait une frontière entre ce groupe et le reste de la population, un groupe isolé, dans le bush, le wild, la forêt et les animaux. 

 

  • Le poids de la diaspora dans la représentation de l'unité indienne. 
    • La diaspora indienne, composée de Non Resident Indians, les NRI et des Person of Indian Origin (PIO) représente environ 16 millions de personnes. Leur rôle comme acteur créant des représentations renforçant les frontières est particulier.
    • Depuis le début des années 2000, le BJP a développé une prise de conscience et surtout une volonté de valorisation de la diaspora procède d’une volonté politique habillée d’un discours idéologique. Cette « invention de la diaspora » (E. LECLERC ; L’invention d’une diaspora indienne : enjeux géopolitiques et sociaux, Espaces et sociétés aujourd’hui, Rennes - résumé de colloque, 2004) par le BJP est essentiel pour comprendre le rôle de cette diaspora dans le discours et les représentations politiques en Inde.
    • En quittant l'Inde, les indiens ont transforme leur religion pour l'adapter a leur nouvel environnement mais aussi en transformant les pratiques : du populaire vers le brahmanisme et le védisme. Les migrants sont aussi porteurs d'une image d'unité politique, d'un discours sur l'Inde qui tend à renforcer l'unité nationale, à l'exalter, renforçant ainsi la frontière entre l'Inde et ses voisins.
    • Logiquement, ces migrants déplacent aussi la frontière de l'Inde dans les territoires où ils vivent. Les Indiens représentent ainsi plus de 30 % de la population de l'île Maurice (71%), de la Réunion, du Suriname, de Trindad et Tobago, (voir : Anouk CARSIGNOL-SINGH, La diaspora, instrument de la politique de puissance et de rayonnement de l’Inde à l’île Maurice et dans le monde, EchoGéo, 10, 2009).

 

c- Une démocratie qui doit prendre en compte les revendications de chacun

  • Un système fédéral qui favorise la mise en frontière de l'Inde (mise en frontière = notion issu des linguistes)
    • Une mosaïque de langues : 863 langues sont officiellement répertoriées, dont 30 langues parlées par plus d'un million de locuteurs 302 langues mineures parlées par moins d'un million de personnes. Parmi ces dernières, 118 langues seraient parlées par moins de 10 000 locuteurs. Enfin, on décompte un peu moins de 200 langues tribales, souvent uniquement orales.
    • Le pays compte 22 langues officielles ; chaque État a sa (ou ses) propre(s) langue(s) officielle(s) : jusqu'à 6 dans l’État du Manipur. De même, il existe aussi des langues officielles à l'échelon municipal ou local, afin que chaque citoyen accède aux documents et aux renseignements administratifs de base.
    • Deux groupes de langues dominent :
      • les langues indo-européennes ou indo-iraniennes : (¾ de la population)
        • L'hindi (nord-ouest) qui partage avec l'anglais le statut de langue officielle. On estime qu'elle est comprise par la moitié de la population du pays et parlée par 30% des indiens.
        • l'ourdou qui est la même langue que l'hindi mais qui s'écrit avec un alphabet différent.
        • le benagli
        • etc.
      • les langues dravidiennes dans le sud du pays (¼ de la population) ; au sud d'une ligne qui va du petit état de Goa jusqu'à Cuttack (ville située à 500 km au SO de Calcutta.
        • le tamoul
        • le Kannada
        • etc.
      • d'autres langues très minoritaires, comme les langues sino-tibétaines (0,6 % de la population), l'arabe, les langues austro-asiatiques (1,2 % dans le nord-est du pays et dans les îles Nicobar) …
      • L'anglais quant à lui serait parlé par 7 % des indiens. 

 

  • Une démocratie dans laquelle les groupes ethniques sont appelés à se redéfinir pour former des frontières ethniques ou religieuses. Ainsi, on trouve en Inde aujourd'hui :
    • des langues officielles de l’Union (2 : l'hindi et l'anglais)
    • Les langues constitutionnelles « répertoriées » (22 langues)
    • Les langues officielles des États et territoires de l’Union (30 langues) 
    • Les langues officielles régionales par décret présidentiel 
    • Les langues officielles locales ou municipales 
    • Les langues non répertoriées
    • Les langues minoritaires ou tribales
Les frontières de l'Inde

2- Ce nationalisme est confronté à de multiples frontières intérieures qu'il a du mal à contrôler.

Olivier GUILLARD dans Géopolitique de l'Inde paru en 2012 sous-titre son livre « le rêve brisé de l'unité » pour expliquer comment l'Inde est confrontée à ses divisions internes exacerbées par des questions religieuses notamment.

a- Des frontières régionales toujours plus nombreuses

Paradoxe : la volonté de développement de l'identité nationale hindoue promue par le BJP se heurte à des revendications locales identitaires non hindoues, ce qui provoque une division toujours plus grande de l’État indien et à la création de nouvelles frontières en Inde.

  • La multiplication des régions en Inde : 
    • Lorsque l'Inde est devenue indépendante, s'est posé la problème de l'intégration dans le territoire de plus de 500 royaumes. Le nouvel État se dote alors d'une constitution imposant le fédéralisme autour de 16 États institués sur une base linguistique.
    • En 1956, une réforme redessine les frontières des États, créant de nouvelles entités devant être mieux acceptées localement, notamment pour des raisons ethniques, de langues des minorités ou de représentation de ces minorités.
      • L'Etat de Bombay devient en 1960 le Gujarat (Nord) et le Maharashtra (sud)
      • l'Assam est divisé, perdant et le Nagaland (1963), le Manipur, le Meghalaya, le Tripura (1972) et l'Arunachal-Pradesh et le Mizoram (1987)
      • le Penjab est coupé en deux en 1966, à l'ouest le Penjab et à l'est l'Haryana (pour donner aux sikhs une majorité dans le Penjab)
      • Goa accède au statut d'Etat en 1987
      • Le Chhattisgarh est créé en 2000 d'une scission avec le Madhya Pradesh
      • L'Uttarkhand est créé en 2000 d'une scission avec l'Uttar Pradesh
      • en 2000 encore apparaît le Jharkhand, anciennement dans le Bihar
      • en 2014 le Telangana devient le 29° État de l'Inde d'une scission avec l'Andhra Pradesh.
    • De plus, de nombreuses revendications se font jour depuis quelques années pour demander la création de nouveau états (voir : l'article de Marie-France CALLE, Un 29° état redessine la carte de l'Inde, le Figaro, 31 décembre 2010 : http://www.lefigaro.fr/international/2010/12/31/01003-20101231ARTFIG00001-un-29e-etat-redessine-la-carte-de-l-inde-.php)
    • La carte de l'Inde en 2040 par le magazine Outlook, 6 février 2012, In Lucie DEJOUHANET, l'Inde, puissance en construction, La Documentation Française, janvier-février 2016.

Croquis de l'évolution régionale en Inde. (Les État de l'Inde : créations et revendications ethniques)

  • Une balkanisation de l'Inde ? (expression de Jean-Luc RACINE dans Jean-Christophe JAFFRELOT, L’Inde contemporaine, 2006)
    • Pour certains analystes, on assiste à une balkanisation de l'Inde, avec une augmentation des revendications territoriales de groupes ethniques qui tendrait à une division toujours plus forte de l'Inde.
    • Cependant, si la division actuelle des États se fait officiellement pour donner plus de représentation aux minorités tribales, les nouveaux États n'ont pas remis en cause la domination des autres groupes sociaux sur les tribus qui ne représentent que 26 % de la population de l’État du Jarkhand et du Chhattisgarh, États dirigés par des chefs de gouvernement non tribaux. La création de ces frontières apparaît plus comme une instrumentalisation de la revendication identitaire par des intérêts économiques et politiques d'une élite qui aspire à s'assurer une position dominante dans les nouvelles entités créées.
    • De même, dans les territoires du Nord-est, la politique de reconnaissance des minorités tribales s'est accompagnée d'un processus de revendications autonomistes et territoriales : la frontière entre Assam et Nagaland est remise en question par des mouvements politiques Naga qui militent pour la création d'un « eastern nagaland ». En Assam, la minorité Bodo a obtenu la création d'un Conseil territorial du Bodoland en 2003, la minorité Gorkha a été reconnue dans le Bengale Oriental (création d'une Administration Territoriale du Gorkhaland en 2011).
    • (voir Bertrand LEFEBVRE, Les minorités tribales dans les territoires de l'Union Indienne, Géoconfluences, 24 mars 2015 + Article de Cyril ROBIN, La création d’États en Inde : gestion de la diversité ou des inégalités ? Le Monde, 14 mai 2010)
    Les frontières de l'Inde

    b- Dans les villes, des frontières sociales toujours plus marquées

    Depuis l'ouverture économique de l'Inde dans les années 1990, le phénomène de ségrégation sociale en ville n'a fait que s'accentuer, renforçant les frontières internes des villes, notamment par la construction de frontières plus ou moins marquées physiquement dans les villes. Un phénomène qui n'est pas directement lié à l'essor du nationalisme hindou, mais qui l'accompagne.

    Cependant, il ne faut pas commettre d'anachronisme : les villes ont été depuis longtemps marquées par des ségrégation socio-spatiales fortes héritées de la colonisation britannique. L'exemple le plus frappant étant celui de New Delhi ville nouvelle bâtie au sud de Delhi pour accueillir l'administration coloniale lorsque la ville devint capitale.

    • L'enjeu de la pauvreté dans les villes indiennes : la place des bidonvilles / slums en Inde et l'enfermement des quartiers pauvres.
      • Si pendant longtemps riches et pauvres se sont mêlés dans les villes, sur les trottoirs notamment, un mouvement de fond existe depuis les années 1990 marqué par la volonté de séparer les populations. On estime qu'un quart des habitants des villes de plus d'un million d'habitants vit dans ces quartiers marqués par la précarité de la propriété du sol et de l'habitat mais aussi la pauvreté. On trouve deux types de bidonvilles en Inde, certains comme celui de Dharavi à Mumbai sont intégrés dans des circuits de production (cuir, menuiserie, électronique). Ceux-ci sont plus intégrés dans la ville. D'autres (la majorité, souvent petits) ont une fonction principalement résidentielle. Ils peuvent être cachés dans la ville, soit derrière des quartiers plus propres soit derrière des barricades (cf la polémique durant les jeux du Commonwealth organisés à New Delhi en octobre 2010).
      • De même, les bidonvilles posent la question de la relégation spatiale, donc d'une frontière, entre d'un côté les hautes castes et de l'autre les basses castes, les intouchables et les hors castes qui plus nombreux dans les slums mais qui sont aussi indispensables aux plus hautes castes. Les connexions et échanges entre personnes de castes différentes pousse les plus riches à accepter la présence des plus pauvres à proximité d'eux, ce qui fait que les bidonvilles indiens sont situés à proximité des quartiers riches.
      • Enfin, les bidonvilles apparaissent aussi comme un front urbain, un lieu de conquête pour les urbanistes et les promoteurs immobiliers : ces terrains sont le plus souvent privés et font l'objet soit de convoitises soit de projet de réhabilitation urbaine qui se traduisent par l'expulsion des plus pauvres sans contrepartie, par le déplacement des bidonvillois vers une périphérie urbaine ou encore par leur intégration dans des nouveaux quartiers mixtes.

     

    • Le développement des quartiers fermés en Inde.
      • Les quartiers résidentiels fermés sont nés dès l 'époque coloniale mais se développent rapidement ces dernières années (depuis les années 1980) sur ce même modèle colonial ségrégatif sur la forme de quartiers fermés de lotissements et de petits immeubles destinés à des couches sociales aisées qui peuvent accéder à la propriété. Ces territoires incluent parfois des poches de pauvreté, lieu d'habitat de la main d’œuvre domestique. Ces quartiers se ferment (gardien, murs, grilles) aux marchands ambulants et autres pauvres. Des quartiers qui peuvent aussi chercher de la hauteur pour se distinguer des autres territoires urbains. La frontière devient alors verticale.
      • On assiste également depuis quelques années au développement de villes privées autour du concept de « smart cities » comme la ville de Gurgaon ou celle d'Ansal proches de Delhi. Frédéric LANDY annonce le chiffre de 143 villes privées en 2011 plus 400 en construction.
      • Lire :

     

    • Les zones économiques spéciales, créées sur le modèle chinois sont aussi des enclaves qui créent des frontières entre ces territoires aux lois particulières (exemptions fiscales et douanières) gérés par des promoteurs privés ou para-publics. En mars 2015, on comptait 200 ZES en activité et plus de 500 projets approuvés

     

    c- Dans les périphéries, des frontières parfois violentes

    Le nationalisme hindou semble aussi renforcer les violences sur le territoire indien.

    • Le mouvement naxalite :
      • C'est un mouvement de défense des intérêts des groupes socio-économiques les plus défavorisés de type guérilla maoïste qui existe depuis 1967. Son but est de redistribuer les terres plus équitablement et de lutter contre les élites au pouvoir considérées comme corrompues et défendant leurs propres intérêts au dépens des intérêts du peuple.
      • Au delà du programme politiques communiste, cette guérilla repose aussi sur des revendications religieuses entre des castes défavorisées et des tribus d'une part et des castes supérieures d'autre part. Le conflit se déroule principalement dans les zones rurales (embuscades, destruction de routes, chemin de fer, lignes téléphoniques, usines, …) dans les états de l 'est de l'Inde, une zone surnommée parfois « le corridor rouge »
      • Le mouvement a pris un second essor dans les années 1990-2000 lorsque l'ouverture économique de l'Inde s'est accompagnée de projets de développement liés à l'exploitation de richesses naturelles (mines, forêts) situées sur des territoires tribaux. Face aux pertes de terres et aux déplacements forcés imposés par les autorités au nom du développement économique et sous pression de multinationales, le mouvement a repris de l'ampleur autour du Parti Communiste Indien maoïste (CPI-Maoist) face à l'armée, la police et des milices privées formées par des grands propriétaires fonciers (opération Green hunt en 2009, + de 50 000 paramilitaires)
      • Les États du Jharkhand, du Chhatisgharh et de l'Orissa sont les plus touchés, et dans une moindre mesure ceux de l'Andhra-Pradesh, du Madhya Pradesh, du Bihar et le Telengana. Ces violences ont fait des milliers de morts (entre 600 et 1 200 par an entre 2002 et 2011) et de déplacés.

     

    Croquis les États touchés par la rébellion naxalite en 2014. (source : Institute for conflict management, south asia terrorist portal, organisme gouvernemental indien)

    Les frontières de l'Inde
    • Les autres mouvements régionalistes du nord-est de l'Inde :
      • Ces mouvements ont des racines profondes, comme on l'a vu dans la première partie, des racines liées à la colonisation britannique et sa gestion des frontières, mais ils ont aussi des racines plus récentes liées à l'organisation administrative de l'Inde contemporaine.
      • La principale insurrection concerne le peuple naga, peuple de 2 millions de personnes de langue tibéto-birmane.
      • L'insurrection naga a commencé dès l'indépendance dans l’État d'Assam et a abouti à la création d'un État naga (le Nagaland) en 1963. Cependant, la création de cet État et de ces frontières n'a pas réglé la perception négative de nombreux groupes naga situés hors de l’État et qui revendiquent soit leur intégration dans cet état (et non plus leur appartenance à l’État d'Assam), soit la création d'un nouvel État (le Nagaland occidental). Certains demandent aussi la création d'un État naga indépendant, plus large que le Nagaland actuel.
      • Depuis 1955 l'armée indienne est présente massivement dans la région. Un cessez-le-feu a été signé en 1997. L'objectif pour le gouvernement indien est bien sûr de renforcer la cohésion nationale et la frontière du Nord-est, une zone convoitée par le voisin chinois.

     

    • Les frontières, zones de protection / les zones protégées, nouvelles frontières ?
      • Exemple du Sikkim ou de l'Assam, des franges himalayennes en général, lieu de concentration des parcs naturels pour protéger la nature et développer un tourisme associant protection de la nature et découverte de modes de vies différents.
      • Au contraire, les zones tribales, frontières intérieures également sont aussi des zones protégées pour leur nature ou leur biodiversité, même si elles peuvent être aussi l'enjeu de convoitises de la part d'entreprises, exemple de l’État d'Odisha.
      • La création des parcs nationaux est aussi parfois source de tensions aux frontières de ce parcs où les populations sont devenus occupants illégaux du jour au lendemain et ont dû partir. La création d'une frontière (administrative) intérieure devient alors problématique, entraînant parfois des rébellions et l'intervention des forces armées

     

    3- Cependant, il semble exister une unité nationale dans la gestion des frontières extérieures.

    Au delà des tensions internes et des frontières internes de l'Inde renforcées en partie par le nationalisme exclusif hindou, il semble qu'il y a une certaine unité nationale, un consensus sur les frontières extérieures de l'Inde. Dans la logique d'une « puissance en construction » (titre de la Documentation photographique consacrée à l'Inde par DEJOUHANNET en janvier-février 2016), l'Inde pose un regard complexe sur ses frontières, un regard marqué par la recherche d'une coopération plus que d'une confrontation après les échecs militaires des années 1947 – 1990 face aux voisins pakistanais ou chinois.

    Dans cette partie, il faut lire le terme de frontière dans ses différents sens, tant celui de limite entre États (une dyade), tant celui de front : la zone himalayenne étant perçue comme une zone d'influence indienne à contrôler, une zone tampon face au voisin chinois.

     

    a- Une coopération avec des pays voisins pour stabiliser les frontières

    • La dyade avec le Bangladesh : s'entendre pour mieux contrôler la frontière (mur)
      • Des contentieux entre Bangladesh et Inde sur la frontière la plus longue de l'Inde (4095 km). La naissance du Bangladesh en 1971 avait été souhaité par l'Inde, afin d'affaiblir le voisin pakistanais. Cependant, le tracé de la frontière entre les deux pays avait abouti à créer 51 enclaves bangladaises sur le territoire indien et 111 enclaves indiennes sur le territoire du Bangladesh. L'enjeu majeur des relations entre Inde et Bangladesh se cristallise autour de la frontière entre les deux pays. Le Bangladesh a en son sein environ 10 % d'hindous qui a été marquée par des émeutes anti-indiennes en 1992 et 2001. Enfin, pour nombre de Bangladais, l'Inde apparaît comme une puissance économique et politique forte dont il faut se méfier, au risque d'une éventuelle troisième colonisation (après la britannique et la pakistanaise). Pour l'Inde, l'enjeu frontalier est aussi lié au risque terroriste.
      • L'enjeu migratoire est aussi au cœur de la gestion de la frontière. On peut distinguer des migrations courtes et proches des deux côtés de la frontière (pour rejoindre des champs ou une enclave mais aussi pour exporter des bovins vers le Bangladesh … estimés entre 20 et 25 000 par jour !) et des migrations plus fortes et longues, des migrations de travail principalement mais aussi des trafics d'être humains, surtout des femmes qui seront mariées en Inde où le ratio homme-femme est déséquilibré. On estime à plus de 20 millions le nombre de migrants clandestins depuis 1971.
      • Cet enjeu migratoire est très sensible en Assam où l'Union des Étudiants de tout l'Assam (All Assam Student Union, AASU) milite depuis 1979 pour un arrêt de l'immigration de bangladais et pour le départ des populations bangladaises installées en Assam. Cela a abouti à des massacres en 1983. Ce mouvement a été réactivé depuis 2005.
      • La conséquence politique a été assez classique, aboutissant à une durcification (« wallification ») de la frontière :
        • Pour limiter l'immigration et pour répondre aux massacres de 1983, un mur a été construit le long de la dyade suite à une accord entre Inde et Bangladesh en 1985.
        • Cet accord permet de durcir la frontière : plus de 3 200 km de barbelés ou de murs de briques ont été installés parallèlement autour d'une bande (no man's land) de 150 mètres entre 1993 et 2013 pour lutter contre les trafics, l'immigration clandestine et le terrorisme. 
        • C'est également une frontière très protégée : plus de 220 000 Border Security Force et entre 60 et 80 000 soldats sont stationnés sur cette frontière côté indien. (cf. interview de Gaël TURINE, Libération, 13 février 2015).
        • En juin 2015 un accord a été signé entre Inde et Bangladesh pour faire disparaître ces enclaves où vivaient 50 à 60 000 personnes. Il est entré en vigueur le 1er août 2015.

     

    • La délicate question pakistanaise : une frontière à surveiller pour éviter des interventions terroristes.
      • Depuis la guerre de 1947, hors Cachemire,la frontière est stable et acceptée par les deux pays. Une frontière comme enjeu de souveraineté pour les deux pays, une frontière politique qui n'empêche pas les échanges économiques.
      • Cependant, depuis les attentats de Mumbai de 2008, l'enjeu de la surveillance de la frontière traversée par un groupe terroriste revendiquant son financement par des groupes situés au Pakistan est devenu crucial pour les Indiens. La frontière est très surveillée et fermée : il n'y a qu'un seul poste frontière entre les deux pays, à Wagah (Penjab), lieu d'une « cérémonie » nationaliste chaque jour lors de l'ouverture et de la fermeture de la frontière (devenue depuis le début des années 2 000 un lieu touristique accueillant jusqu'à 12 000 personnes les jours de fête nationale selon l'office du tourisme d'Amristar et même 2 millions de touristes par an selon les gardes-frontière indiens. 

     

    • L'enjeu majeur actuel pour l'Inde est celui de la relation avec la Chine.
      • En 1962, une courte guerre a éclaté entre l'Inde et la Chine sur deux fronts : l'Arunachal-Pradesh et le Cachemire. La Chine a rapidement occupé une partie du Cachemire (35 000km²) pour l'annexer sous le nom d'Aksaï Chin, une zone quasiment vide dans laquelle la Chine a construit une route pour relier le Tibet au Xinjiang. Comme dans le reste du Cachemire, l'Inde a du accepter un recul de sa frontière . Une ligne stable mais qui reste un lieu de tension entre chinois et indien où l'on compte sporadiquement quelques échauffourées et quelques morts sur cette frontière.
      • Au delà des enjeux frontaliers directs dans l'Aksai Chin, l'Inde reste le lieu d'accueil du gouvernement tibétain en exil dirigé par le Dalaï-lama. L'inde, en donnant refuge (sans le statut de réfugiés) et des terres aux Tibétains qui ont quitté leur pays, créant une nouvelle frontière en Inde autour de ces territoires tibétains et bouddhistes sur ses terres.
      • Cependant, si des désaccords frontaliers et des escarmouches ont lieu entre Inde et Chine, les relations sont très cordiales entre ces deux géants émergents aux relations économiques fécondes (L'Inde est le 3° marché de la Chine, La Chine est le premier importateur en Inde) et aux intérêts géostratégiques proches dans l'océan Indien, notamment la sécurisation des routes maritimes, notamment celle des hydrocarbures.
      • Enfin, la coopération avec la Chine permet aussi de sécuriser sa frontière du Nord-ouest, notamment face à la montée des revendications autonomistes ouïghoures.

     

    b- La frontière du nord, un territoire indien ?

    • L'enjeu du Cachemire au cœur de la relation entre Inde et Pakistan. 
      • Le conflit actuel est le résultat de la guerre de 1947-1949 et de celle de 1965. Un troisième conflit a éclaté en 1999 autour de Kargill. Le conflit reste chaud autour du glacier de Siachen (autour de 2 000 morts par an dans les deux camps). L'enjeu principal est un enjeu de puissance régionale et de frontière entre deux pays jeunes qui ont développé un nationalisme fort depuis leur indépendance. Ainsi, fin 2015 le premier ministre indien a fait une visite au Pakistan pour tenter de renouer un dialogue avec le pays voisin. Une visite surprenante de la part d'un premier ministre issu du BJP.
      • Quelques échauffourées et combats ont lieu de temps en temps : fin décembre 2015 et début janvier 2016, une base aérienne indienne a été occupée par un mouvement militaire islamiste pakistanais créé par les services secrets du Pakistan (ISI, InterServices Intelligence) puis libérée par les forces indiennes à Pathankot (Penjab).
      • Dans ce jeu géopolitique autour de la frontière du nord-ouest, l'Inde a su développer des relations fortes avec des pays situés au delà du Pakistan, à savoir l'Afghanistan et le Tadjikistan. Si les relations avec l'Afghanistan ne sont que diplomatiques, l'Inde a installé une base militaire indienne au sud du Tadjikistan.

     

    • L'Arunachal-Pradesh au cœur des relations sino-indienne : une frontière à surveiller.
      • Lors du conflit sino-indien de 1962 qui s'est terminé par l'occupation de l'Aksai Chin par la Chine, ce dernier pays a aussi occupé une partie de l'Assam devenu par la suite l'Arunachal-Pradesh. Cette zone montagneuse de 84 000 km² et peuplée d'environ 1,5 millions de personnes a été rendue à l'Inde mais les autorités chinoises revendiquent quand même ce territoire (le « Tibet du sud ».
      • L'enjeu majeur est de contenir l'avancée de la Chine dans la zone. Pour les indiens, ce territoire, bien que périphérique est indien et ne peut pas devenir chinois. L'objectif est de réduire l'influence chinoise dans la région. Si l'Arunachal-Pradesh est difficilement accessible par le Nord, il n'en reste pas moins que la construction d'une route (même dangereuse et peu utilisée) par la Chine entre Lhassa et Katmandou a éveillé des peurs en Inde.

     

    • les relations avec le Népal : des enjeux frontaliers et de souveraineté
      • Pour les indiens,le Népal représente à la fois une frontière au sens d'un territoire d'influence sur lequel le pays peut intervenir pour protéger ses propres intérêt mais aussi un glacis, une marche entre l'Inde et la Chine (en 1959 Nehru a formalisé la relation entre Inde et Népal : ce dernier est vu comme une protection contre les visées expansionnistes de la Chine. Des accords inégaux entre Inde et Népal garantissent à ce premier un contrôle sur l'importation d'armes, le transit de marchandises ou la construction de barrages dans la plaine du Teraï au Népal. Enfin, il ne faut pas oublier les six bataillons de mercenaires Gurkhas (népalais) toujours présents dans l'armée indienne, bataillons qui permettent de garder des liens forts et symboliques entre les deux pays. La diplomatie indienne utilise aussi l'aide humanitaire (comme après le séisme de février 2015) pour imposer son influence dans ce pays voisin.
      • Le Népal et ses 28 millions d'habitants représente aussi un marché ouvert aux marchandises indiennes. Depuis 1960 (réactivé en 1996 puis en 2009), un accord commercial lie les deux pays : 26 points de passage et 15 routes de transit vers les ports indiens ont été définis pour faciliter les échanges entre les deux pays. L'objectif à terme est de créer un marché commun, donc de faire disparaître la frontière économique entre les deux États. L'objectif indien est de faire du Népal un avant-poste commercial en Asie du sud.
      • Le Népal est pays considéré comme instable dans lequel les autorités indiennes n'hésitent pas à intervenir si besoin. Ainsi, e n 1989-1990, l'Inde a unilatéralement fermé la frontière avec le Népal pour protester contre un rapprochement politique entre le gouvernement népalais (alors maoïste) et la Chine. (Voir article de Vincent BRUSLÉ, Les liens de la frontière. Enjeux des circulations autour de la frontière indo-népalaise, Cériscope-frontières,2011)
      • Cette frontière porte aussi en elle des enjeux frontaliers plus classiques :
        • Le partage des eaux : les eaux du Gange dépendent à 46 % de rivières traversant le Népal.
        • Le Népal accuse l'Inde d'occuper illégalement en 54 lieux le territoire népalais le long des 1 800 km de la dyade.

    Croquis de la frontière entre l'Inde et le Népal (Tristan BRUSLÉ, Céri-sciences-Po) :

    Les frontières de l'Inde
    • le Sikkim : Toujours dans cette logique de zone frontière sous influence indienne vue comme un rempart ou un glacis face au puissant et menaçant voisin chinois, l'Inde est intervenue dans les affaires intérieures du Sikkim pour l'intégrer progressivement ce royaume à l'Union Indienne en 1975. L'enjeu pour l'Inde est de sécuriser sa frontière nord et surtout de renforcer l'accès aux États du Nord-est par l'étroit corridor de Siliguri (20 km de large) et du Cooch Behar.

     

    c- Au delà de l'Inde, des nouvelles frontières ?

    • Coopérer avec les voisins : la SAARC : 
      • La South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC) a été fondée en 1985 à l'initiative du Bangladesh. Elle regroupe 8 pays (Pakistan, Inde, Bangladesh, Sri Lanka, Népal, Bhoutan, Maldives et Afghanistan). L'objectif de la SAARC est à la fois de permettre une meilleure coopération économique régionale mais aussi de limiter la puissance de l'Inde.
      • Pour les indiens, cette association est vue comme un moyen d'étendre son influence par le soft power. En 2004, les pays se sont unis pour réduire les frontières commerciales et fonder une zone de libre échange appelée la South Asian Free Trade Area, un projet encore loin d'être abouti (5 % seulement du commerce extérieur de ces pays se fait entre les membres de la SAARC.
      • De même, les projets scientifiques ou culturels inclus dans la SAARC restent erratiques.

     

    • L'océan Indien, un front de la puissance de l'Inde.
      • Si l'Inde peine à créer des relations de confiance avec ses pays frontaliers, elle mène une diplomatie plus active dans l'océan Indien, des pays arabes à l'Asie du sud-est en passant par les pays de l'océan Indien. Cet océan représente en Inde une mer indienne, mais c'est aussi par cet océan que transite plus de 90 % du commerce extérieur de l’Inde en volume (et 77 % en valeur), soit plus de 30 % du PIB indien. En 2001, le ministre des affaires étrangères (BJP) Jaswant Singh, parlait d’une zone d’influence  « allant du Moyen-Orient à la mer de Chine du Sud ».
      • Cette diplomatie a visé d'abord à normaliser les relations par un tracé des frontières accepté par tous :
        • En 1976, la frontière maritime est fixée avec les Maldives, puis avec l'Indonésie (1977), la Birmanie (1986), la Thaïlande (1993) et enfin le Bangladesh (2014).
        • en 1974-1976, l'accord entre l'Inde et le Sri Lanka à propos de l'île de Kachchativu (attribuée au Sri Lanka) permet de fixer la frontière maritime entre les deux pays.
        • depuis les années 1970, on assiste à une volonté de normaliser et fixer des frontières stables avec les pays voisins. L'objectif est de sécuriser ces zones maritimes et terrestres et éviter le développement de la piraterie ou des échanges illégaux de personnes ou de biens. Cette normalisation facilite la coopération avec les États voisins.
      • Cependant, l'Inde a pu agir dans ce « l'océan indien et les confins asiatiques» (Frédéric LANDY et Aurélie VARREL dans L'Inde, du développement à l'émergence, A. Colin, 2015 p. 246) par des interventions militaires (Sri Lanka 1987-1990 ; Maldives 1988) ou humanitaires (comme après le tsunami de décembre 2004).
      • Un des autres objectifs de cette politique vers le sud est de mieux contrôler les routes maritimes et les frontières maritimes (la ZEE de l'Union indienne). 
      • L'Inde pendant longtemps négligé sa marine qui reste sous-équipée au regard des ambitions de puissance de ce pays. Elle dispose tout de même d'un commandement inter-armées sur les îles Andaman et a signé des accords avec le Qatar, Oman, Maurice, Madagascar et le Mozambique. Deux bases marines majeures sont situées à l'ouest et à l'est de l'Inde, à l'ouest la base de Mumbai permet d'intervenir vers Bab-el-Mandeb et Ormuz ; à l'est, la base de Vizakapatnam permet de surveiller le détroit de Malacca. Les principaux alliés sur mer sont les États-Unis et le Japon.

     

    • L'influence indienne, le soft power indien jusqu'à l'île Maurice et les côtes africaines est ancien mais s'est accéléré depuis la fin de la Guerre froide et le retrait russe de l'Afrique.
      • A côté de ces échanges économiques, les côtes de l'océan indien sont marqués par la présence de communautés indiennes parfois installées depuis la colonisation. Ces communautés, plus ou moins bien acceptées localement (expulsion des indiens de l'Ouganda en 1971; nationalisation des commerces indiens en Tanzanie dans les années 1960 ou obligation d'accéder à la citoyenneté kenyanne en 1971) constituent des territoires de l'indianité et diffusent un modèle indien au delà des frontières du pays jusqu'en Afrique du sud à travers le cinéma, la culture.
      • Les Indiens trouvent en Afrique des hydrocarbures, des minerais et des terres agricoles. Leur présence est parfois ancienne, datant de la colonisation britannique. Depuis 2008, l'Inde organise des sommets Inde-Afrique pour améliorer les relations avec ces pays.
      • On peut aussi évoquer ici l'importance de la diaspora qui repousse les frontières de l'Inde jusqu'en Californie, en Grande Bretagne, en Afrique du Sud et de l'est ou encore à Singapour.
    Les frontières de l'Inde
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