Un an après sa sortie aux éditions des Arènes, La fabrique du monstre sort en poche. L'occasion pour vous de compléter vos lectures sur la France des marges. De même que Florence Aubenas s'était plongée dans les entrailles de la France d'en bas dans Le quai de Ouistreham en 2010 (un récit sur les emplois des personnes sans diplôme dans le nord de la France), le journaliste Philippe Pujol nous guide dans les quartiers nord de Marseille pour en montrer le fonctionnement et surtout les effets de politiques menées depuis trente ans dans cette métropole. Un travail écrit après dix ans d'enquêtes.
Ainsi, les premiers chapitres (1 à 7) sont l'occasion de nous présenter ces quartiers à travers leurs habitants, et surtout l'un d'entre eux, Kader, dans lequel nous pénétrons dans les intimités et les logiques systémiques de la pauvreté associée à des trafics et à violence quotidienne (une violence qui n'est pas que physique ; elle est aussi fortement psychique, intégrée, assumée).
La deuxième partie (chapitres 8 à 14) nous montre un autre niveau de violences et de magouilles, d'autres systèmes mis en place non pas pour aider la population, mais mis en place pour s'assurer des revenus, des pouvoirs : des systèmes à l'échelle de la politique municipale. Tous en prennent pour leur grade : le maire, ses opposants, les députés, le conseil général. En effet, chacun semble avoir mis en place son propre système clientéliste pour gagner ou pour garder le pouvoir. Le pire est certainement le constat désenchanté qu'il fait des écoles publiques marseillaises, visiblement abandonnées par le pouvoir municipal local.
Pour un géographe, ce travail journalistique est l'occasion de s'intéresser aux logiques spatiales mises en œuvres par chacun des acteurs en présence : pour l'auteur, rempli de compassion pour les plus pauvres, les délaissés, ceux de la marge, ces personnes semblent à la fois dépassées par des choix qui s'imposent à eux, des marionnettes dirigées par un destin ou des logiques divines qui tirent les ficelles de vies cassées, comme dans une tragédie grecque. Pourtant, ces petites personnes avec leur petites vies sont aussi acteurs de leurs choix … mais des choix limités par les contraintes sociales, territoriales ou financières. Des choix qui conduisent bien souvent à des logiques d'enfermement, parfois choisies, souvent subies. (voir les travaux d’Élisabeth Dorier et de son équipe sur la fragmentation urbaine marseillaise)
Cet essai montre ce qu'est une marge sociale et spatiale pages 98 et 99, lorsque l'auteur rencontre des jeunes trafiquants : il n'est pas des leurs : un « français », un journaliste », un « Frédéric ». Les jeunes rencontrés ont donc intégré leur propre marginalité, leur propre monstruosité comme l'induit le titre de cet essai.