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Geobunnik

Le blog d'un enseignant qui prépare au CAPES et au CRPE en géographie à l'ESPE de Corse à Ajaccio et Corte.

La France des territoires, défis et promesses, Pierre Veltz, Editions de l'Aube, 2020

Publié le 27 Mars 2020 par geobunnik in La France : mutation des espaces produtifs, epistemologie de la géographie

On connaît Pierre Veltz, homme aux multiples casquettes (ingénieur, sociologue et économiste qui a dirigé notamment l’établissement public de Paris-Saclay) à travers ses écrits qui ont proposé des grilles de lecture sur la relation entre Paris et le reste de la France (Paris, France, Monde) dans lequel il explique, à la suite de la pensée de Jacques Lévy qu’on ne peut plus penser le territoire national comme on le faisait il y a 50 ans mais qu’il faut le voir comme une méga-city-region polarisée et interconnectée par Paris ; de même il a été la promoteur de l’idée que nous ne sommes pas dans une époque post-industrielle mais au contraire dans un temps « hyper-industriel » (La société hyper-industrielle ; le nouveau capitalisme productif) dans lequel nous dépendons plus que jamais de l’industrie.

 

Sa dernière livraison vise à compléter sa réflexion sur le territoire national, lui qui a aussi travaillé avec la DATAR sur une dimension prospective de l’aménagement des territoires français. Dans cet ouvrage, Pierre Veltz cherche à comprendre comment articuler deux mouvements de fond qui prennent forme actuellement : d’une part une demande forte de la part des consommateurs et des différents acteurs économiques de prendre en compte la dimension locale de biens et d’autre part l’articulation de cette échelle locale avec l’échelle mondiale marquant notre société, notre Monde. Selon lui, le défi majeur de cette articulation est politique : quelle va être la place de l’État dans cette relation, comment peut-il gérer les dynamiques territoriales qui vont en découler ?

Il propose donc trois thématiques : 1. Dans notre société de plus en plus centrée sur l’individu, quel modèle de développement économique nous permettra de rester compétitifs ? Selon lui, l’économie centrée sur l’individu (santé, bien-être, alimentation, éducation, mobilité) va permettre de dépasser le modèle des productions de masse. 2. On se dirige vers un monde multipolaire interconnecté dans lequel les acteurs locaux ne peuvent pas penser leur développement économique de manière autarcique mais forcément de manière complémentaire et en réseau. 3. Tout cela pose la question (politique) d’un nouveau récit commun à construire : comment relier des individus interconnectés mais dont la vie n’est plus reliée par un récit national basé sur le territoire, puisque leurs vies et relations débordent de ce territoire national.

 

Les trois premiers chapitres visent à planter le décor autour de trois axes :

- L’économie et l’industrie ne ressemblent pas à celles que nous imaginons : nos représentations ont 20 ou 30 ans de retard sur la réalité. P. Veltz reprend ici ses idées développées dans son ouvrage sur la société hyper-industrielle. Notre système économique productif est multipolaire et fragmenté mais il est aussi organisé autour de pôles puissants (les métropoles). Ce modèle est très réactif et flexible, mais il a aussi quelques faiblesses (sa soutenabilité écologique et sociale principalement, ce qui n’est pas rien …). Selon lui, trois handicaps marquent le système français : nous sommes dominés dans le monde numérique, notre regard est trop négatif sur l’industrie et l’État a développé trop de structures, ce qui rend sa politique illisible (un petit côté schumpétérien anime ce chapitre).

- Le fractionnement des chaînes de valeur et leur extrême complexification les rend fragile (on le voit à l’heure des crises) mais fragilise aussi les États en tant qu’acteurs politiques et économiques, puisqu’ils ne peuvent agir que partiellement, et en concurrence avec d’autres acteurs, sur ces chaînes de valeur de plus en plus polarisées spatialement et financièrement. La force de la France dans ce système est d’avoir gardé un système de redistribution relativement équitable (merci aux travaux de Laurent Davesies).

- Enfin, selon l’auteur, nous avons assisté à la fin d’un déterminisme géographique pour les localisations des sites de production car dans nos sociétés liquides (il utilise le terme de fluides), la localisation des entreprises ne dépend plus des matière premières ou des ressources humaines (qui sont déplaçables) mais de la matière grise, de la créativité (on retrouve cette fois-ci les idées de R. Florida). Reprenant la pensée de N. Elias, il nous rappelle que dans la société des individus à laquelle nous appartenons, nous nous dirigeons vers une société en archipel (notion importante chez J. Viard et popularisée ces derniers temps par J. Fourquet)

 

Un fois ce tableau dressé en une quarantaine de pages très agréables à lire, les quarante pages suivantes (deux chapitres) reviennent d’abord sur les bouleversements économiques et spatiaux des quarante dernières années : des croissances économiques et démographiques faibles + la mondialisation + le numérique + la tertiarisation, la féminisation et la montée en qualification des emplois + le développement de l’économie résidentielle. Pour lui, le territoire national ne possède plus réellement de spécificités locales : chaque métropole, chaque région a – à peu près – les mêmes caractéristiques et les mêmes productions. La différence majeure se situant selon lui entre les métropoles d’une part et le reste du territoire d’autre part, les métropoles étant des territoires qui peuvent être plus spécialisés. Battant en brèche les idées de C. Guilluy, il nous invite également à dépasser une lecture binaire du monde (centre des métropoles vs péri-urbain) pour aller vers une lecture plus complète et plus complexes des rapports de dominations socio-économico-culturelles. Selon lui, plus qu’un archipel, la France serait un patchwork, idée qui reprend donc l’image intéressante de territoires variés, cousus les uns aux autres pour faire un ensemble cohérent. Une image qui ne met peut-être pas assez en valeur les inégalités et les polarisations actuelles.

Ce rappel est un préalable à la réflexion centrale du livre (et présentée comme telle dans l’introduction) : quelles trajectoires sont possibles pour le futur proche (un appel à la prospective donc) : ces changements ont abouti à des tensions qui ont été régulées par deux moyens principaux, la mobilité (vers les métropoles et les littoraux pour faire simple) et la redistribution des richesses (pensions, aides sociales, subventions, impôts, …). Ces régulations seront-elles tenables ? Faut-il continuer à mettre en concurrence les territoires ? Quid de la transition écologique nécessaire ? Pour lui, la clé semble être l’économie centrée autour de l’individu : culture, savoir, bien-être, santé, divertissement, sécurité, … sans forcément se demander si en France chacun a accès au minimum économique et social pour bien vivre. Évidemment, cela pose la question du commun posée en introduction. Selon lui, il faut opérer un nouveau découpage territorial permettant de prendre en compte les évolutions récentes décrites ci-dessus (métropolisation + individualisation) au profit des métropoles, bien sûr.

 

La troisième partie du livre (une cinquantaine de pages) m’a moins intéressée, reprenant en grande partie les idées de Pierre Veltz sur la place de Paris en France, à savoir une métropole mondiale puissante (ch 6) qui, pour faire face aux défis actuels, doit améliorer la gouvernance du Grand Paris (ch. 7) tout en pensant la France comme un territoire urbain dominé par Paris (ch. 8), une méga-région urbaine au même titre que le Grand Londres, le Grand Tokyo, etc.

 

La conclusion nous invite à rester positifs tout en gardant en tête l’extrême complexité des systèmes économiques actuels. La France a un atout majeur, c’est Paris. Il faut donc une réforme territoriale pour renforcer le poids de Paris et des métropoles. (tout ça pour ça …)

 

En bref, un ouvrage un peu décevant car il reprend des idées déjà développées ailleurs. Pour ceux qui n’ont jamais lu Pierre Veltz, cela peut être une lecture utile, d’autant plus que l’ouvrage est agréable à lire, pas trop long (170 pages, notes comprises) et bien argumenté.

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