Dans le cadre sur la Méditerranée, j'ai été poussé à réfléchir aux limites de "la Méditerranée".
(pour plus d'informations sur le concept de Méditerranée, au sens plus large tel que pensé par les géographes au milieu des années 1990, voir quelques pistes :
- Le site géoconfluences, article de Vincent CLEMENT : link
- L'article de Jean-Baptiste ARRAULT dans la revue en ligne cybergéo : link
- Le numéro de la revue Hérodote 2001/4 Géopolitique de la Méditerranée : link
- Les ouvrages sortis pour le CAPES au début des années 2000.
- Aujourd'hui, la Méditerranée a perdu la place prééminente qu'elle a occupé pendant des siècles. Foyer de naissance de trois religions monothéiste, foyer de civilisation durant l'Antiquité, lieu de guerres, de conquêtes entre le Moyen Âge et le XIX° siècle, cette mer est devenue une périphérie du monde, un monde qui s'est organisé principalement autour de l'Atlantique, puis aujourd'hui autour de l'Océan Pacifique.
- Pourtant, cet espace demeure un ensemble majeur à l'échelle du monde. Il reste un des principaux foyers de peuplement (150 millions d'habitants ? - attention aux chiffres, ils concernent souvent les États, pas uniquement le monde méditerranéen au sens strict), de culture, de tourisme (200 millions ? - même remarque que pour la population), de conflits, de trafics en tous genres (20 % des pétroliers, 30 % des navires marchands du monde circulent en Méditerranée, pour un trafic total de 120 000 bateaux).
- De même, la Méditerranée est devenu une frontière entre des territoires riches (le « Nord », l'UE) et des territoires pauvres (les « sud », du Maroc à la Turquie).
- Avec la crise actuelle, commencée en 2007-2008, les États de Méditerranée sont même apparus comme des territoires du danger, de la crie, qu'elle soit économique ou politique. Ainsi, les États du nord de l'Europe semblent se détacher de ceux du sud dans la gestion de la crise de l'Euro, alors qu'un des grands projets de l'ancien président français Nicolas SARKOZY était de donner une impulsion aux relations nord-sud à travers l'Union pour la Méditerranée (lancée en 2008 par le processus de Barcelone, siège à Barcelone … mais une coquille restée vide malgré un programme économique, culturel et social).
Il faut bien sûr nuancer ces propos. Toute la Méditerranée n'est pas en guerre, les États ne sont pas en faillite, les clivages entre communautés, entre États ne sont pas si forts.
De même, j'ai ajouté au titre du cours sur la Méditerranée "les Méditerranéens", car on ne peut pas étudier un territoire, un espace sans les personnes qui sont dessus, qu'ils soient habitants permanents ou en transit (touristes, migrants, commerçants, pèlerins, …)
La Méditerranée est un ensemble original dans le monde. Plus qu'une mer, c'est un territoire que les historien (comme Fernand BRAUDEL dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, 1949) ou les géographes ont longtemps présenté comme un ensemble cohérent. Pourtant, la Méditerranée est un concept qui est apparu tardivement. Certes les Romains évoquent Mare Nostrum, et la Méditerranée est au cœur des échanges du Moyen Age (commerce, Croisades, échanges culturels), mais ce n'est qu'au XVIII° - XIX° siècle que ses riverains commencent à penser cet espace comme un ensemble, comme un espace homogène basé sur des critères physiques ou culturels (une mer, un climat, une végétation, trois religions, trois grandes civilisations : grecque, romaine, musulmane)... ce qui permet de se donner bonne conscience ou une bonne raison pour traverser la Mer et coloniser l'autre rive (au nom de la défnse d'intérêts communs, d'un passé commun, donc d'un destin commun)
Le géographe Bernard KAYSER propose dans Méditerranée, géographie et fracture, 1996, une lecture différente basée sur l'idée que cet espace est parcouru par de nombreuses fractures : démographiques, économiques, géopolitiques.
Dans un article dans le site Géoconfluences, Vincent CLEMENT pose une série de questions :
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La Méditerranée ne serait-elle qu'une construction intellectuelle ?
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Un mythe, hérité de l'Antiquité romaine et imposé par les peuples de la rive Nord ?
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Est-elle réductible à une logique d'opposition, d'affrontement, de conflits ?
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La thèse de la fracture n'est-elle pas elle aussi en partie un mythe, imposé par l'actualité récente ?
On peut aussi s'appuyer sur les réflexions des géographes sur ce qu'est la Méditerranée :
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Un lac ? => des rives, un plan d'eau partagé, un sentiment d’appartenance à un même groupe (BRAUDEL)
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Un foyer ? => sous l'angle culturel, des civilisations (BRAUDEL). Aujourd'hui, la Méditerranée est-elle encore un foyer ? (foyer touristique majeur : 54 % des touristes du monde ; foyer de contestation : le « printemps arabe » ;
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Un lieu de passage ? => entre Gibraltar et Suez, à l'heure des échanges moniaux, entre l'Asie, l'Europe, l'Afrique et l'Asie, mais aussi entre l'Afrique et l'Europe pour les migrants, mais aussi un lieu de passage pour les musiques, la cuisine, etc.
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Un Isthme => Plusieurs zones de passages, des détroits mais aussi des îles entre deux continents : il n'y a que 14 km de large (Djebel Tarik ; Colonnes d'Hercule) ; le détroit des Dardanelles mesure entre 1,6 et 6 km ; le canal de Suez (193,3 km de long et large de 280 m à 345 m)
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Une barrière => Aujourd'hui, les rives Nord-Ouest sont regroupées dans l'Union Européenne. Une nouvelle frontière se dessine au sud de l'espace Schengen (Portugal, Espagne, France, Italie, Grèce ; refus en 2011 de la Bulgarie) Le système de protection des frontières FRONTEX organise depuis 2007 des patrouilles pour surveiller les flux de migrants, mais aussi les flux de marchandises illicites. Cette brrière est nettement visible sur la carte des morts aux frontières de l'UE publiée par le Monde Diplomatique : au moins 7 000 morts entre 1993 et 2006, dont Gibraltar 6 000, Lampedusa 1 500, Dardanelles 400. (voir le site du blog du diplo : cartografareilpresente : link)
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Un lieu de conflits ? => Depuis 1990 : ex-Yougoslavie, Israël-Territoires Occupés, Libye, Algérie, Corse, Syrie, mais aussi des conflits étouffés : Sahara Occidental (à la marge du monde méditerranéen, mais il concerne le Maroc), Chypre (Turquie-Grèce), tensions Grèce-Turquie (migrants, îles, mer, …) et encore les révolutions arabes de 2011-2012 (Tunisie, Libye, Égypte, Syrie).
- Faut-il limiter le sujet à une mer ? => Non
- Faut-il limiter le sujet aux littoraux de la Méditerranée ? => On peut voir le littoral comme un lieu de contacts et d'échanges. Cependant, on tend à lui substituer parfois la notion de « zone côtière », vue comme un espace où la compétition est si intense entre les hommes que le droit ne suffit plus à en gérer les conflits d’usage.)
- Faut-il étudier cet espace dans le cadre étatique ? => C'est bien pratique pour les statistiques, mais à affiner ; faut-il se limiter aux régions qui bordent la mer ?
Pour le cours, on va considérer l'étude de la Méditerranée et des méditerranéens dans un sens pas trop large. Ainsi, il faut s'intéresser à la mer en tant que telle, à ses rivages qui concentrent les activités, mais aussi à l'arrière pays, sans trop s'en éloigner : carte.