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Geobunnik

Le blog d'un enseignant qui prépare au CAPES et au CRPE en géographie à l'ESPE de Corse à Ajaccio et Corte.

Un clin d'oeil de St Dié-2012.

Publié le 15 Octobre 2012 par geobunnik in Paysages

Cette année (2012), le FIG (festival International de Géographie) s'est déroulé du 11 au 14 octobre. Un festival dédié à l'étude des paysages et à la Turquie.L'occasion de réfléchir à ces deux sujets ...

 

Petit bonhomme - st dié

 

Les paysages :

Je passe sur le crêpage de chignon entre L. Carroué (IGEN d'Histoire-Géographie) et JR Pitte (président de la Société de Géographie, de l'Adfig qui chapeaute le Fig et spécialiste des ... paysages et de la géographie culturelle et surtout du vin) autour de la pertinence des deux sujets du FIG pour aborder ce qui est plus intéressant : 

 

Ce que je retiens de ce FIG, c'est :

 

1 -  Les conférenciers ont peu abordé frontalement les paysages. Bien souvent, faiblesse du thème et de la réflexion obligent, le paysage a été une excuse pour évoquer d'autres éléments intéressants, principalement naturels... les géographes retrouvant ainsi les aspirations de la géographie classique :

- prendre en compte les paysgaes dans la gestion des rivières

- les paysages emblématiques du tourisme

- les paysages moteurs de la protection de la nature ?

- etc.

 

 

2 - Il m'apprait donc qu'il y a peu ou pas de réflexion des géographes actuels sur la notion de paysage (pardon Augustin BERQUE). Rien de nouveau (au mieux) que l'idée vague d'un paysage comme une représentation d'un environnement proche et visible. Peu de réflexions sur l'utilité du paysage.

 

3- En effet, il m'est apparu lors de ces conférences, et surtout après celle - brillante - de Denis RETAILLE - ainsi que par quelques lectures passées - David HARVEY par exemple - que l'on doit aborder le paysage sous l'angle politique. Le paysage est jamais neutre, tout le monde s'accorde là dessus, mais il est à mon avis objet de domination.

  • La première domination est celle de l'humain sur ce qui l'entoure. On peut reprendre les réflexions des sociologues et des psychologues sur l'environnement humain (je pense aux coquilles emboîtées d'Abraham MOLES dans "Vers la psychologie de l'espace") Les Humains portent un regard sur ce qui les entoure, un regard quyi peut être fusionnel : je suis au coeur de la nature et de mon environnement non naturel, ce que l'on retrouve dans l'animisme mais aussi dans les religions compassionnelles comme le Bouddhisme. On retrouve aussi ce regard chez certains géographes comme Elisée RECLUS qui dans ses écrits pause la relation homme-nature comme un postulat essentiel à la compréhension du monde. 
  • La deuxième domination est liée à la première, c'est une domination des élites sur ce qu'ils découvrent hors de leur environnement   le montre dans ses écrits Augustin BERQUE. En Chine, la réunion du pavillon des Orchidée, ces poètes qui discourent sur la nature au IV° siècle, en est la démonstration : des élites urbains chassées de la ville découvrent et s'émerveillent devant la nature sauvage, ses paysages (sans humains, bien sûr ... ). Lorsque l'idée de paysage se développe en Europe, c'est par le même processus : des élites intellectuelles urbaines, les peintres hollandais puis anglais, allemands ou français, vont chercher à représenter une nature quasi vierge, sauvage, parfois menaçante (au temps du romantisme), parfois apaisée et humanisée (l'impressionnisme), parfois mythifiée (au XIX° siècle aussi). On a donc un regard de domination, celui d'élites, sur un territoire connu ou  inconnu, une domination culturelle et intellectuelle. 
  • La troisième domination est apparue avec les premiers géographes de l'époque contemporaine, ceux du XIX° siècle, lorsque les Européens commencent à intégrer la "finitude" du monde, la mondialité dirait D. RETAILLE. Ce géographes cherchent à décrier puis expliquer le monde dans lequel ils vivent et dans lequel les Européens sont les maîtres à travers le commerce, la politique (les colonies et le processus étatique), la culture (religions, langues européennes s'imposent aux élites puis aux masses). Le paysage devient :

1- un outil au service de la géographie avec Vidal de la Blache qui le propose comme outil de départ de la recherche scientifique

2- un outil pédagogique : la géographie qui est au service de la patrie et de la III° République naissante est un outil pour édifier les masses, leur faire connaître leur patrie, leur nation et la grandeur de celles-ci.C'est donc un outil pour dominer le territoire non plus proche mais lointain, un territoire invisible.

3- un outil pour dominer les territoires lointains, les colonies, les limites de l'écoumène et le reste du monde. Dans sa logique nationale et nationaliste, la géographie française est porteuse de l'idéal colonial (rappelez vous le nom de ce grand ministre français de l'instruction publique qui fut aussi ministre des affaires étrangères et - à ce titre - propagateur de la colonisation au nom des idéaux républicains et surtout nationalistes, Jules FERRY. C'est en suivant cette même logique que les urbains se lancent à l'assaut des hautes montagnes, de l'océan (yachting) ou des déserts froids (le pôle sud est atteint en 1912)

 

  • Il est intéressant de noter que la remise en question du paysage, de la méthode de la géographie classique et de ses objectifs scientifiques se fait à partir de la Libération et se concrétise dans les années 1960 par l'apport scientifique de géographes marqués par le structuralisme (comme Roger BRUNET) et le marxisme (comme Yves LACOSTE). Le pays et son paysage ne sont plus de mode, il faut créer des nouveaux outils et passer à l'analyse spatiale. Le maître mot est l'espace que l'on étudie non plus par l'entrée paysagère mais par d'autres entrées : les flux, les relations entre personnes ou groupes, etc. L'analyse spatiale se détache du paysage (on le lui reproche assez vie, d'ailleurs). Mais ce qui est intéressant dans cette évolution, c'est l'évolution sociologique et économique de la France durant cette période : les Trente Glorieuses ont transformé non seulement les territoires mais aussi la société et la classe moyenne se voit désormais comme une élite : c'est elle qui fait les majorités lors des élections, c'est elle qui remplit les rangs des universités, les figures du professeur, de l'ingénieur et du cadre sont les modèles dominants. Bref, les classes moyennes qui commencent à dominer la société commencent par briser le regard passé sur leur environnement. En France, cela se traduit par mai 68 et la volonté de changer le monde.
  • La quatrième domination est celle du tourisme et des urbains : La remise en cause des paysages ne dure pas longtemps. Les urbains, les étudiants puis les classes moyennes, vont commencer à porter un regard de dominants sur ce qui entoure leur environnement : la campagne et surtout les territoires exotiques.

1- La campagne devient soit un terrain de jeu pour classes moyennes actives ou retraitées (sports de nature, résidences secondaires), soi un territoire de conquête à travers la péri-urbanisation. Les paysages deviennent des objets pour lesquels notre société va inventer des spécialistes : les paysagistes. On va commencer à imposer des lois (loi paysage en 1993, loi montagne en 1985, loi littoral en 1986, ...) pour réglementer les paysages ... et ainsi leur donner une valeur non pas culturelle mais monétaire : un outil de marketing, un argument de vente pour attirer les touristes. On va perler d'une gestion patrimoniale des cours d'eaux. Cette utopie paysagère aboutira en 2000 à la Convention Européenne du Paysage. Cette domination des classes moyennes sur le paysage a pu aboutir à des conflits entre ceux qui viennent de la ville avec un regard conservateur ou écologiste sur le paysage et ceux qui ne voient pas ce paysage car ils en sont au coeur et même partie prenante, les ruraux. Une domination visible à travers les brochures publicitaires qui utilisent à foison les paysages : des paysages principalement naturels, c'est à dire sous un ciel bleu, sans humains... et des paysages très retravaillés comme le montre Martine TABEAUD dans ses travaux (L'imagerie stéréotypée des brochures des offices de tourisme, dans la revue Espaces, mai 2007).

 

2- Dans la même logique, les paysages renaissent non pas dans les travaux scientifiques mais dans la société contemporaine grâce au tourisme de masse ultra-marin, vers des territoires idéalisés notamment grâce à l'artifice de paysages idéalisés ou même recréés (la paillote polynésienne et le palmier asiatique sur toute plage qui se respecte). Le paysage devient un outil commercial de domination dans le sens où il sert de référent obligatoire pour le voyager, donc pour le voyagiste (on est dans un tourisme de masse, un système économique intégré) et donc pour les populations locales obligées de se conforter au modèle du nord pour rester ou devenir "compétitifs". Dans cette logique de domination, les touristes (occidentaux ou japonais et bientôt chinois) ne cherchent pas autre chose qu'une illusion, un paysage inventé pour leur propre plaisir. Un paysage, comme celui des lettrés chinois du pavillon des lanternes, qui est un regard sur un environnement étranger que l'on aimerait être notre et que l'on veut ainsi dominer.

 

  • Enfin, les géographes ne sont pas en reste dans ce regard de domination aujourd'hui. En effet, le paysage est revenu dans les travaux des scientifiques et il continue d'être la base de l'enseignement scolaire du primaire à la sixième.

1- Chez les géographes professionnels, le paysage peut toujours être étudié pour lui même sous l'angle de l'aménagement, du paysagisme, de l'environnement, du tourisme. On est même allé jusqu'à inventer des paysages non plus visuels, mais à intégrer les autres sens, ce qui n'est pas si mal. Mais lorsqu'on s'intéresse à la géographie des odeurs (lire l'ouvrage dirigé par R. DULEAU et JR PITTE, Géographie des odeurs, 1998), les auteurs abordent ces paysages avec un regard extérieur qui n'est pas sans subjectivité : les paysages olfactifs sont aussi des outils de domination sur les territoires, un outil pour imposer une vision : on a le droit d'aimer des odeurs fortes. Les sciences humaines et les urbanistes (c'est à dire des aménageurs qui veulent imposer leur propre idée de la ville) s'intéressent aussi aux "paysages sensoriels" à la "ville sensorielle" ; l'expression de "paysage sonore" pour un média ou un lieu est également très utilisée, on les retrouve même comme argument publicitaire : link

2- Dans l'enseignement, la géographie scolaire repose en primaire et en sixième sur la mise en place d'une "banque de paysages" dans la tête de nos enfants. Cette banque est une association de dizaines de paysages particuliers qui montrent comment notre ou nos sociétés occupent l'écoumène, le gèrent, le transforment ou s'adaptent à un milieu particulier (ou plusieurs voire l'ensemble de ces éléments). Il s'agit bien, et c'est logique car l'enseignement et l'éducation servent à cela), de créer dans la tête des élèves une représentation du monde telle que nous l'imaginons. Une reproduction de notre domination à travers les mythes que nous continuons de colporter : le mythe prométhéen de l'homme qui peut transformer la nature ; le mythe écologiste de l'homme qui doit protéger la nature ; le mythe économiste de l'homme qui doit utiliser la nature pour son bien (ou ses biens) ; etc.

 

 

 

La Turquie :

 

Un thème intéressant au point de vue politique et géographique mais qui m'a laissé sur ma faim : les analyses ont surtout été géopolitiques ou économiques (la place de la Turquie dans le monde, l'idée peu orignale mais réelle d'un carrefour pour de multiples raisons : économiques, migratoires, culturelles, ...). Pour moi, il manquait une vision interne de la Turquie. Les géographes français et turcs seraient-il marqués par le kémalime et le nationalisme turc qui voudraient que la Turquie (comme la France) ne soit qu'une : un pays, une nation, une langue, une religion, ... et donc aussi un espace.

- peu de choses sur la Turquie urbaine, ses tensions, ses mouvements, ses jolies constructions périphériques "a-territorialisées" (un peu comme nos grands ensembles), ses rapports aux lieux d'histoire.

- peu de choses sur le tourisme en Turquie : tourisme de masse balnéaire ou tourisme religieux ;

- peu de choses sur les divers espaces des Turcs : les urbains, les ruraux, les kurdes, les migrants, les militaires, les confréries, ...

- peu de choses sur les clivages territoriaux ou spaciaux ou sociétaux ("on est pas là pour polémiquer mais pour faire de la géographie" dixit Patrice DE BEER, ancien journaliste au monde)

 

 

Défauts :

Et pour finir, je'ai trouvé deux gros défauts à ce FIG :

1- lL rareté des cartes projetées (pour les paysages ça se comprend, mais pas pour la Turquie)

2- Beaucoup de conférences "publicitaires" pour vendre ou faire référence à un ouvrage qui vient d'être édité ou réédité.

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