INTRODUCTION
Les mobilités sont au cœur de la culture, de l'identité des pays d'Amérique du nord, que ce soit depuis la création de ces États (États-Unis ou Canada) ou de manière plus récente (Mexique, au cours du XX° siècle, principalement depuis les années 1940). Ainsi, Canada et États-Unis se sont bâtis autour de l'idée qu'ils sont des pays de migrants mais aussi que la mobilité est sociale, des pays de tous les possibles, c'est l'American Dream. L'Amérique du nord fait aujourd'hui figure de pôle d'immigration majeur à l'échelle mondiale, même si tous les territoires de ce sous-continent ne sont pas touchés de la même intensité par ce phénomène.
Ces mobilités ont des causes très diverses. On pense bien sur aux mobilités internationales, aux migrations qui marquent ces trois pays de manières différentes, mais ces mobilités incluent aussi des mobilités liées aux loisirs (tourisme, visites, loisirs de fin de semaine) ou des mobilités quotidiennes liées au travail (les déplacements pendulaires), ce qui nous pousse à étudier ce sujet à plusieurs échelles, celle du sous-contient, celle des États et celle des villes tout en pensant le sujet à la fois de manière collective (avec des réseaux, des territoires, des flux de groupes) et de manière individuelles (avec des logiques, des choix, des raisonnements d'individus). Ces mobilités de personnes (les flux de marchandises ou d'idées ne sont pas incluses dans ce sujet) laissent des traces dans les paysages : des lieux de passage, portes d'entrées ou de sorties, les infrastructures de transport actuelles ou passées (Elis Island par exemple) sont à prendre en compte, car elles sont à la fois réelles et jouent dans l'imaginaire des habitants. Enfin, ces mobilités et ces flux de personnes relient des pôles qui sont assez bien marqués, tant dans la culture que dans la réalité statistique.
On peut donc se demander si on assiste à un renforcement des polarités et à des fragmentations spatiales liées aux mobilités actuelles.
Pour répondre à cette question, nous verrons que les mobilités internationales sont plus ou moins encouragées par les pouvoirs publics et que cela aboutit à un renforcement des polarités. Une deuxième partie s'intéressera à montrer que les mobilités intérieures suivent globalement deux logiques : d'une part une logique de métropolisation et d'autre part une logique de littoralisation (aux petites échelles) qui elles aussi participent à un renforcement des pôles. Enfin, une troisième partie s'intéressera à étudier les mobilités à l'échelle urbaine, pour voir que ces mobilités participent certes à une polarisation des activités humaines mais aussi à un renforcement de la fragmentation urbaine.
CONCLUSION :
On assiste donc bien à un renforcement des polarités et à un fractionnement des espaces en Amérique du Nord par l'augmentation des mobilités. Certes la crise actuelle commencée en 2007 a ralenti quelque peu des mobilités sociales et spatiales, en limitant par exemple les flux migratoires du Mexique vers les États-Unis, voire même en les inversant (par un phénomène de retour des migrants mexicains vers leur pays d'origine), mais en limitant aussi les déménagements, puisque les propriétés ont pu perdre une grande partie de leur valeur lors de la "crise des sub-primes" en 2007-2008.
Cependant, ces mobilités restent une valeur forte de la culture nord-américaine, qu'elle soit plutôt anglo-saxonne, latino-américaine ou autre : se déplacer est vu comme positif, tout comme d'autres valeurs constitutives des populations de ces trois États : l'amour de la patrie, voire le nationalisme, l'idée de se présenter comme un modèle pour d'autres pays, d'être au cœur de l'économie ou des décisions politiques mondiales, etc.
1- Des mobilités internationales plus ou moins encouragées.
Les mobilités internationales actuelles qui marquent les esprits, les paysages et les territoires d'Amérique du nord induisent un renforcement des polarités. En effet, ces mobilités, issues de politiques migratoires anciennes et longuement mûries ont permis la création de champs migratoires, de routes, donc d'espaces migratoires. Ces mobilités internationales sont aussi liées au tourisme. Il existe en Amérique du nord un espace touristique lui aussi majeur à l'échelle mondiale (certes derrière la Méditerranée, mais bien devant les autres espaces touristiques mondiaux d'Asie ou d'Amérique du sud).
- Ces mobilités internationales sont issues de politiques migratoires parfois anciennes, comme celles des États-Unis ou du Canada qui prennent une forme contemporaine dès le début du XX° siècle, mais elles sont parfois plus récentes, comme au Mexique (dans les années 1940 tout de même).
Aux États-Unis, les principales lois qui régissent les flux migratoires servent soit à exclure certaines catégories de personnes (comme les Chinois de 1882 à 1947 par le Chinese Exclusion Act), soit à fixer des quotas (1921, 1924, Johnson Act de 1929 ou Immigration and Nationality Act de 1965), soit en encourageant le regroupement familial, l'accueil de réfugiés politiques ou de personnes qualifiées (Immigration and Nationality Act aussi en 1965). Cependant, la création de l'Alena qui a permis une plus grande ouverture de la frontière pour les marchandises a également abouti à un renforcement de la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour les personnes (accord de Mérida).
Au Canada, l'immigration est favorisée par le plan SIFTON de 1902 qui fixe des quotas par pays et qui se présente comme un système par cooptation par les migrants déjà installés. Le système est réformé en 1967 qui impose un système de sélection des migrants par des points afin de sélectionner des immigrés qualifiés selon les besoins du pays en encourageant la venue prioritairement d'anglophones et de francophones. La loi actuelle, de 2002 sur les migrants et les réfugiés, prévoit trois types de migrations : regroupement familial, réfugiés et personnel qualifié.
Au Mexique, l'enjeu est autre : il ne s'agit pas de faire venir des migrants ou de limiter leur nombre (bien que dans les années 1970 des lois visant à limiter le séjour ou la venue de migrants sont votées) mais il s'agit surtout d'organiser l'émigration vers le nord ("el norte"), les États-Unis. C'est le but de l'accord signé avec les États-Unis en 1942 et appliqué jusqu'en 1964, le programme Bracero qui visait à faciliter le recrutement des ouvriers agricoles aux États-Unis (500 000 par an puis 450 000 à partir de 1955), avec des garanties de salaires, de logement ou de protection sociale. Avec l'abrogation de cet accord puis la constitution de l'Alena et le renforcement de la frontière pour les mexicains, le Mexique a du coopérer avec les États-Unis pour réduire le nombre de migrants et a du accepter une série de lois limitant le passage de la frontière, comme le Patriot Act de 2001 qui ferme la frontière du nord (quitte à la transformer en mur ou en barrière quasi infranchissable) mais qui demande aussi au Mexique de fermer sa frontière sud pour limiter les trafics vers les États-Unis.
- Les effets de ces politiques sont assez lisibles de nos jours. Deux pays, le Canada et les États-Unis restent des pays d'immigration qui concentrent environ ¼ des migrants mondiaux :
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Il entre chaque année environ 250 000 migrants au Canada (aux 2/3 des migrants choisis sur des critères économiques) ; près de 20 % de la population du pays est née à l'étranger, un taux rare dans le monde (que l'on retrouve dans les pays du Golfe). Ces migrants viennent principalement d'Asie ou du Moyen Orient : de Chine (12 %), d'Inde (11,7 %), des Philippines (11,3 %), des États-Unis (3%), du Royaume Uni, du Pakistan, d'Iran, de Corée du Sud, du Maroc.
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Les États-Unis accueillent 880 000 personnes par an dans la décennie 2000-2010 ; 13,9 % de la population est née à l'étranger, soit 42,8 millions de personnes. Des flux migratoires qui ne sont plus issus d'Europe comme au XX° siècle mais issus principalement d'Asie et d'Amérique latine : Mexique (20 % des immigrés depuis 2008), Chinois (8,2 %,) Indiens (7,7 %), Philippins (4,1 %), mais encore Cubains, Dominicains, salvadoriens, Vietnamiens, Coréen. Aujourd'hui l'Asie représente 40 % des flux, l'Amérique centrale 25 %, l'Europe 9 %, la Caraïbe 9,4 %, l'Amérique du sud 6 %, l'Afrique 5,5 %.
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Le Mexique est un pays d'émigration, seuls 0,6 % du pays est née à l'étranger mais on estime à 12 millions le nombre de mexicains installés aux États-Unis (dont 6,1 millions d'illégaux – source Pew Hispanic Centre). C'est également un pays de transit puisque des migrants venus d'Amérique centrale traversent le pays légalement ou non pour aller traverser la frontière nord dans l'espoir d'y travailler.
- Les conséquences spatiales sont visibles sur le croquis ci-joint :
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les migrants s'installent sur des territoires les moins éloignés de leur pays d'origine et dans les principales métropoles, renforçant ainsi les pôles urbains et littoraux mais aussi la frontière entre États-Unis et Mexique :
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les asiatiques s'installent majoritairement dans l'ouest du Canada (Colombie Britannique) et des États-Unis (État de Washington, Californie), les latino-américains sont concentrés vers le sud des États-Unis (Californie, Arizona, Nouveau Mexique, Texas, Arkansas, Floride où 65 % des migrants sont latino-américains). Certaines villes sont majoritairement peuplées d'hispanophones, comme Miami, ou certains comtés de Los Angeles.
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Ces migrants s'installent dans des zones déjà peuplées : 93 % des immigrés canadiens s'installent dans les quatre États les plus peuplés (Québec, Ontario, Colombie Britannique, Alberta) ; aux États-Unis, 56 % des étrangers sont accueillis dans quatre États : Californie (25 %), New York (11 %), Texas (10 %), Floride (9 %) et 10 États accueillent 75 % des immigrés.
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Les frontières mexicaines concentrent elles aussi les arrivants : au sud des populations venues d'Amérique centrale, au nord des Mexicains qui rêvent de passer la frontière (450 000 reconduites en 2010)
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- Enfin, les conséquences sont aussi politiques et sociales : les migrants venus du sud de l'Amérique occupent principalement des emplois peu qualifiés et mal rémunérés (ouvriers agricoles, ouvriers de l'industrie, cuisiniers, ...), accentuant ainsi l'image négative que certains peuvent avoir de ces populations. De même une grande patrie des Philippines venues s'installer aux États-Unis ou au Canada sont nurses ou domestiques, comme certaines haïtiennes ou des jamaïcaines. En revanche on retrouve de nombreux migrants indiens ou chinois à des postes d'ingénieurs, de chercheurs, de concepteurs de logiciels.
Ces migrants apportent avec eux leur culture, leurs religions, leurs langues, ce qui suscite des débats importants, au Canada comme aux États-Unis (débats importants en 2006 sur le statut de la langue espagnole). Ainsi le modèle social et politique est parfois ébranlé : le mythe du melting pot semble dépassé au profit du salad bowl aux États-Unis : une association de personnes différentes unies par des valeurs plus que par une langue commune (la liberté individuelle, le libéralisme, l'amour de la patrie, etc.). Au Canada, les enjeux se situent dans la répartition des aires linguistiques plus que sur des enjeux raciaux : les francophones tentent de maintenir leur poids politique et démographique à l'échelle de la province québécoise (où ils sont encore majoritaires) de plus le Québec essaye de conserver son poids au sein du pays (il est passé dans les années 2000 en dessous du ¼ de la population totale du Canada).
- Les mobilités internationales ne concernent pas que les migrants. Il faut y inclure également les touristes internationaux qui semblent suivre les mêmes logiques de mobilités accrues et de renforcement des pôles.
En effet, les mobilités touristiques s'accroissent encore dans l'ensemble étudié. L'Amérique du nord et la Caraïbe représentent environ 12 % du tourisme mondial, soit 121 millions de personnes (source OMT), les États-Unis restant une puissance émettrice forte avec plus de 72 milliards de dollars dépensés par des touristes hors de leur pays en 2006 (2° derrière l'Allemagne), tout comme le Canada (8° avec 20 milliards de dollars). Comme dans les autres bassins touristiques mondiaux, les échanges sont forts entre pays voisins : les États-Unis fournissent 90 % des touristes internationaux au Canada et 85 % des touristes internationaux au Mexique, et les flux émis par le Mexique et le Canada convergent d’abord vers les États-Unis.
Dans cet espace touristique, quelques pôles se dégagent : les métropoles (New York, Los Angeles et ses parcs à thème autour du cinéma et des dessins animés, comme Disneyworld, Miami et la Floride autour des plages et des parcs à thème, les grands parcs nationaux (Yellowstone, Yosemite, Banff, ...), les stations balnéaires mexicaines comme Acapulco ou Cancun.
Ces mobilités suivent don elles aussi une logique de polarisation des flux et des lieux du tourisme, un phénomène accentué par le système aérien actuel organisé en hubs et spokes (qui encourage la concentration des vols et donc des voyageurs) mais aussi accentué par le développement du tourisme de croisière. L'activité de la croisière assure à Miami la première place mondiale dans ce domaine (4 millions de passagers par an). Deux des quatre grandes compagnies internationales du secteur (Carnival et Royal Caribbean = 55 % des navires et 85 % des passagers) siègent à Miami. Comme on le voit sur le croquis suivant, Miami avec ses ports voisins (Fort Lauderdale, Port Canaveral est le port majeur qui désert ce territoire maritime (peut-on parler de 'merritoire' pour cet espace à la suite des travaux de Camille Parrain ?). Il n'est concurrencé dans la zone que par Porto Rico, port et ville quasi états-uniennes. Sur les 15 millions de croisiériste (2006), 1/4 sont partis de Miami qui est devenue une escale incontournable de ce tourisme.
Dans ce groupe du tourisme, on peut aussi placer les 740 000 états-uniens (77 % des 961 000 étrangers du Mexique) installés au Mexique, principalement dans les États du nord (123 000 en basse Californie, 84 000 dans le Jalisco et 80 000 dans le Chihuahua + 72 000 à Mexico DF)
2- Des mobilités intérieures qui suivent globalement deux logiques : d'une part une logique de métropolisation et d'autre part une logique de littoralisation (aux petites échelles) qui elles aussi participent à un renforcement des pôles
Il apparaît clairement que le mobilités actuelles à l'intérieur des trois États tendent elles aussi à renforcer les polarités existantes.
- D'une part, on assiste depuis quelques décennies à un fort processus de métropolisation qui touche les trois pays.
Au Canada et aux États-Unis, la métropolisation est soutenue certes par les migrations internationales vues dans la première partie : les migrants arrivent désormais par avion et s'installent d'abord dans ces villes qui servent de porte d'entrée. Mais les migrations inter-étatiques (États-Unis) et inter-provinciales (Canada) renforcent elles-aussi ce processus.
Ainsi, au Canada, on assiste à un mouvement de population de l'est vers l'ouest assez marqué depuis plus de vingt ans. Le centre de gravité de la population du pays se déplace vers l 'ouest car si Montréal Toronto ou Otawa accueillent de nombreux migrants, ce sont aussi des zones émettrices de migrants vers Calgary, Edmonton, Winnipeg ou Vancouver. (voir le document 2). Montréal concentre ainis la moitié de la population du Québec, Vancouver 70 % de celle de la Colombie Britannique.
Aux États-Unis, le mouvement est similaire mais plus complexe : New York reste une des portes d'entrées du pays mais sert aussi de pôle de redistribution de la population vers les autres métropoles. Parmi celles-ci, les métropoles du sud, Atlanta, Houston, Dallas, Las Vegas, Denver, connaissent une croissance démographique très forte : entre 2000 et 2007, la population d'Atlanta, de Phoenix, Dallas ou Houston a augmenté de près de 20 % (source US Census bureau, 2009), celle de Miami, Seattle ou Washington de 8 à 19 %, alors que celle de New York, Chicago ou Los Angeles augmentait de 2 à 8 %.
Il est aussi intéressant de noter que certaines villes du nord-est fortement marquées par le recul industriel (ou désindustrialisation) connaissent un déclin marqué de leur population. Outre Détroit qui a perdu 1/4 de sa population en 10 ans, on peut citer La Nouvelle Orléans (suite au passage dévastateur de l'ouragan Katrina en 2005), Flint, Cleveland, Dayton, Pittsburg.
Ce renforcement des métropoles abouti aujourd'hui à la création de véritables régions urbaines, les méga-régions, qui sur le modèle de la mégalopolis concentrent des dizaines de millions d'habitants sur des centaines de kilomètres : Métrolina, le sud de la Californie, le nord de la Californie, Cascadia, etc.
Aux États-Unis, comme au Canada, il est courant de changer de logement plusieurs fois dans sa vie, sel:on ses moyens, son emploi. Acheter et vendre son logement est plus facile qu'en France et les états-uniens sont habitués à ces transactions. De plus, le prix du logement, moins élevé qu'en Europe de l'ouest, encourage ces déménagements : en 2008-2009, 37,1 millions de personnes ont changé de logement aux États-Unis, les 2/3 restant dans le même comté, 17 % changeant de comté (dans le même État) et 12 % changeant d’État. Les mobilités résidentielles concernent 12,5 % de la population chaque année. Cependant, depuis la crise des sub-primes de 2007, on assiste à un changement de mentalités : les changements de domicile sont moins nombreux (de nombreux ménages endettés ne peuvent pas vendre le bien à perte donc le conservent), puisque le taux de mobilité résidentiel était de 16 % avant la crise de 2007.
Si au Canada et aux États-Unis les mouvements de population sont plus fort qu'au Mexique, ce pays n'est pas épargné par des changements de domicile et de région. Mexico a cessé d'être l'aimant qu'elle a pu être dans les années 1960-1980. Aujourd'hui la croissance de la ville n'est plus liée aux migrations mais elle est principalement liée à sa croissance naturelle. Ce sont les autre métropoles qui sont devenues attractives au Mexique : Monterrey, Guadalajara, Puebla; Leon, Cancun, ... Les raisons sont liées à l'emploi : les campagnes se vident d'un trop plein de main d’œuvre agricole qui va tenter sa chance en ville. Si Mexico fait aujourd'hui figure d'épouvantail par son gigantisme, les autre métropoles industrielles ou tertiaires sont plus accessibles en distance et en emplois. Ainsi, la principale différence porte sur la nature de ces déplacements : si aux États-Unis et au Canada la quasi totalité des déménagements se font de ville à ville, au Mexique, c'est l'exode rural le principal pourvoyeur de populations.
- Le deuxième phénomène marquant les dynamiques territoriales intérieures de ces trois États est celui de la littoralisation. Les causes de ce phénomènes sont principalement économiques. Les activités tertiaires (commerce international, tourisme, haute technologie...) ou industrielles (liées aux exportations de marchandises et d'hydrocarbures ou aux importation de matières premières) se concentrent de plus en plus su les littoraux et surtout sur les littoraux du sud des États-Unis ou du Canada (Saint-Laurent et Colombie Britannique). De plus, un deuxième phénomène vient s'associer à celui-ci : le mouvement vers le sud des retraités.
Ainsi, les populations du Canada et des États-Unis se concentrent de plus en plus sur les littoraux, un phénomène déjà ancien (car lié à la colonisation des terres par les migrants dès le XVII° siècle) mais qui se renforce, surtout sur les littoraux pacifique et caraïbe. Aux États-Unis, le vieux cœur industriel s'est transformé, il a perdu des emplois (comme dans le secteur de la sidérurgie, de l'automobile ou dans tous les secteurs manufacturiers) au profit des États du sud ou de l'ouest. La population a donc suivi le même mouvement : entre 2005 et 2007, près de 800 000 personnes ont quitté le nord-est des États-Unis pour gagner le sud (Atlanta, Floride, Texas) et 125 000 sont partis vers l'ouest. De même, le mid-west rural est devenu un territoire de départ pour de nombreuse personnes (près de 400 000 départs vers le sud et 140 000 vers l'ouest). Enfin, fait nouveau, si l'ouest reste attractif, c'est aussi devenu une zone de départ vers le sud notamment (durant la même période, 236 000 personnes ont quitté l'ouest pour gagner le sud).
Une troisième logique, qui reprend un peu la logique de la littoralisation, existe, c'est la concentration des personnes le long de la frontière nord du Mexique. Certes il ne s'agit pas d'un littoral, mais la logique semble similaire car c'est un front fermé depuis la construction de la 'barrière' avec quelques portes d'entrée ou de sortie (comme un front de mer avec quelques ports). Cette fermeture est renforcée depuis 1986 et l'Immigration Reform and Control Act (IRCA). De plus les activités qui y ont été installées reprennent elles aussi la logique maritime : les maquiladoras doivent exporter plus de 80 % de leur production vers les États-Unis. Il s'agit donc, comme dans un port d'une production destinée à l'exportation à l'aide non pas de navires mais de camions qui empruntent des itinéraires balisés, à l'instar de routes maritimes.
Cette frontière nord du Mexique longue de 3 141 km concentre la population. Si dans les premières années de l'Accord Nord Américain de Libre Échange (Alena) les emplois étaient surtout féminins, de nos jours la population s'est masculinisée et on compte pus de 30 millions d'habitants dans les Etats du nord du pays, soit 1/4 de la population du Mexique en 2010. Cette population se concentre dans quelques villes-ateliers : Tijuana (1,4 million d'habitants – 65 000 en 1950), Mexicali (près d'un million de personnes), Ciudad Juarez (1,5 million), etc. Cette population mexicaine est issue des autres régions du pays (centre, sud).
Cette frontière qui attire est aussi un lieu de passage pour de nombreuses personnes (+ de 250 millions de passages par an, dont + de 100 000 par jour à Tijuana-San Diego). Si l'Irca a établi une frontière solide, le Secure Fence Act de 2006 puis l'initiative Merida de 2008 ont renforcé cette barrière. Aujourd'hui, cette barrière mesure plus de 1120 km, soit un tiers de la frontière. En 2012, 528 000 personnes y ont été arrêtées par les border controls des États-Unis.
3- Un renforcement des mobilités à l'échelle urbaine.
Si les mouvements de population favorisent les polarisations aux échelles continentales et nationales, il en va de même à l'échelle urbaine. Cependant, il faut également noter que ces mobilités renforcent également les fragmentations socio-spatiales dans les villes et surtout dans le métropoles des trois pays.
- Les mobilités urbaines sont très fortes : aux États-Unis en 2005-2007, comme nous l'avons vu, 17,5 millions de personnes ont changé de domicile et les 2/3 d'entre elles ont déménagé dans le même comté. Il s'agit d'un mouvement connu depuis longtemps et déjà décrit dans les années 1930 par les sociologues de l'université de Chicago. Ce mouvement voit les classes moyennes et supérieures quitter les centre-villes pour s'installer dans des périphéries plus ou moins lointaines et bien reliées au centre-ville qui conserve un certaine dualité : de nombreux emplois tertiaires supérieurs (dans un CBD assez bien reconnaissable avec ses tours de bureaux) d'une part et de nombreuses personnes pauvres, migrants ou issus des minorités de couleur qui sont peu mobiles car pauvres.
L'extension urbaine reste forte aux États-Unis et au Canada, mais aussi dans les métropoles mexicaines ou les transports privés collectifs de type mini-bus permettent de relier efficacement le centre et ses emplois. Ainsi, dans certaines métropoles, la périphérie représente 70 % des habitants (dans les métropoles des États-Unis), voir 75 % (à Vancouver). Cet 'urban sprawl' s'est accompagné de mobilités fortes entre les lieux de résidence de plus en plus sélectifs (dans des quartiers aux critères socio-économiques marqués) voire des quartiers fermés ('gated communauties') et les lieux de travail. Le moyen de transport n'est alors plus commun mais individuel : l'automobile.
Croquis : la ville nord américaine et les mobilités liées au travail ou aux loisirs .
- Cet urban sprawl s'est accompagné d'un changement de forme de la ville. Pour éviter les centres (CBD) congestionnés et trop chers, des entreprises, des bureaux, des lieux de décision se sont installés dans les périphéries, ce que Joël GARREAU appelle les edge cities : des centres qui concentrent de plus en plus d'emplois (services, technopoles, parcs tertiaires), mais aussi des services commerciaux (les 'malls' aux Etats-Unis ou au Canada) ou des centres de loisirs (comme autour de Miami ou de Los Angeles et leurs parcs à thèmes). Désormais, sur le modèle urbain de la ville de Los Angeles, les déplacements ne se font plus des périphéries vers le centre mais de périphérie à périphérie. Ce modèle se retrouve dans toutes les métropoles des Etats-Unis (Atlanta, Denver ou encore Seattle) mais aussi au Canada (Vancouver ou Toronto) mais aussi dans les métropoles mexicaines (Mexico, vers le pôle de Santa Fe ou l'aéroport ; mais aussi Monterrey, Puebla ou Guadalajara).
Ces nouveaux pôles sont assez bien reconnaissables par leurs paysages proches : des centres d 'affaires en hauteur ; des technopoles qui copient le modèle de la Silicon Valley, insérés dans des espaces verts ; des malls avec leurs parkings ; des centres de loisirs. Ces pôles étant toujours reliés par des autoroutes, marquant plus fortement encore la dépendance à l'automobile.
- Cet usage massif de l'automobile et cet individualisme pousse aussi à une forte fragmentation socio-spatiale dans les villes et dans les périphéries des villes nord-américaines. Certes l'automobile n'est pas la seule raison de ces mobilités : des choix politiques qui ont commencé à se dessiner dans les années 1930-1950 en sont aussi la cause : développement des autoroutes (Interstates) à partir des années 1950, prix du carburant laissé volontairement bas (développant l'idée d'une essence peu chère et surtout une ressource perçue comme illimitée), zonage fort des activités, ou encore fragmentation politique (les villes sont rarement gérées de manière collective et chaque commune ou comté est encore autonome et peut limiter ses constructions ou leur taille, donc aussi réduire les possibilités de venue des plus pauvres (voir le livre de Mike DAVIES sur Los Angeles, City of Quartz, et ce qu'il écrit sur le comté d'Orange ou d'autres comtés qui se sont progressivement privatisés en usant du phénomène Nimby).
Ainsi, les mobilités ont fragmenté les villes d'Amérique du Nord :
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les centres se sont paupérisés dans les années 1980-2000 (avant qu'un sursaut ait poussé les autorités à rénover et à accompagner le retour des classes moyennes ou aisées vers les centres : c'est le phénomène de gentrification).
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Des quartiers (ou des rues à Mexico) se sont privatisées : ce sont les gated Communauties que l'on trouve dans toutes es métropoles des trois pays, un phénomène remarquable à Los Angeles notamment (voir les travaux de Le GOIX)
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Les plus modestes se sont trouvés relégués soit dans les quartiers du centre-ville, à proximité du CBD dans des ghettos urbains marqués par la violence, le phénomène de gangs ou la dépendance envers des programmes sociaux. Des ghettos parfois marqués par des violences urbaines (South central 1992 à Los Angeles). On les retrouve aussi dans des quartiers périphériques qui connaissent les mêmes maux : chômage, pauvreté, violences, gangs, isolement (cf le quartier d'Eight Miles à Détroit).