Jacques LEVY vient d'écrire et de publier un nouveau livre. Un petit ouvrage qui s'adresse à un public assez large mais qui doit avoir des connaissances en géographie assez affirmées, car, comme souvent avec Jacques LEVY, le vocabulaire est assez technique (ou technicisé).
Un ouvrage où l'on retrouve les marottes de Jacques LEVY : son intérêt pour l'idée d'urbain et d'urbanité qui sont développées dans la deuxième partie du livre ; son amour de la démocratie française (et participative), ses idées sur la géopolitique interne de la France et son point de vue sur le rôle du géographe dans la cité : celui de passeur mais aussi celui de penseur et d'organisateur, puisque le livre débouche sur des propositions assez précises pour une réorganisation totale de la géographie administrative de la France. Un livre où l'on devine les amitiés politiques de l'auteur : la période faste, celle du mouvement, des réformes de fond a été celle de 1997 à 2002, celle du gouvernement JOSPIN.
Son postulat de départ est connu et maîtrisé par les géographes (mais pas encore par le grand public) : le monde dans lequel nous vivons est mal connu, mal appréhendé par les sociétés, notamment dans sa présentation ou sa lecture cartographique : les distances kilométriques, dont la mesure et l'utilité datent d'une période où les déplacements humains se faisaient soit à pieds soit tracté par des animaux, ne correspondent pas à notre réalité actuelle. Le territoire est dépassé par l'espace dont la base n'est plus la métrique mais les liens entre humains. Ainsi, les cartes ne peuvent pas montrer ces réalités que sont les amas de personnes aux mêmes lieux et les vides. Jacques LEVY propose donc de dépasser les cartes par les cartogrammes qui montrent comment les pleins sont pleins et les vides sont vides : là où la population est nombreuse et dense, elle prend plus de place que là où les territoires sont vides : par anamorphose, la carte n'est plus basée sur la métrique mais sur la présence de population.
Ce postulat lui permet de montrer qu'il faut désormais avoir une lecture spatiale du territoire et non plus une lecture territoriale à échelle unique (celle de l’État, qui est au cœur de sa réflexion). Il pose la question de savoir si cette échelle étatique est encore pertinente à l'heure de la mondialisation (et de la mondialité). Cette question étant corrélée à celle de savoir si les Français ont la bonne grille de lecture pour appréhender le monde actuel, en se basant sur les débats de la dernière élection présidentielle.
Le deuxième chapitre est consacré à une étude de la France urbaine. Pour Jacques LEVY, la France est devenue quasi entièrement urbaine : 61 des 64 millions de personnes qui l'habitent vivant ans des aires urbaines, que ce soit dans les pôles urbains, dans les couronnes périphériques, que dans les territoires urbains situés dans le rural. Sa définition de l'urbain est celle qui est retenue par la plupart des géographes actuels est basée sur l'idée d'urbanité. Cette urbanité (cette manière de vivre la ville, de l'habiter) crée des réseaux ramifiés qui se muent en espaces continus et contigus : des territoires. Une vision logique : les urbains se caractérisent par la mobilité, quotidienne ou plus temporaire (mobilité pour le travail, les loisirs, la santé, les obligations familiales ou autre) ; ces mobilités créent des réseaux (et réciproquement) qui se territorialisent, qui sont habités : des territoires. On peut donc voir la France (urbaine) non plus comme un ensemble de territoires administratifs 'classiques', mais comme un réseau de lieux, un archipel fait de villes au sens large comme le décrit Jacques LEVY. Il ajoute de plus que cette urbanité est plus grande encore car les ruraux ont pu être urbains ou pourront le devenir un jour (ce n'est qu'un moment).
Cette urbanité semble, selon lui, se découper en deux types (déjà décrits précédemment dans ses ouvrages) selon deux critères : la densité et la diversité. Il y a des gradients d'urbanité qui vont d'un type à l'autre : d'une urbanité 'centrale' où diversités et densités sont forts dans des espaces ou les territoires publics sont nombreux vers une urbanté 'périphérique' où densité et diversité se réduisent, tout comme les espaces publics qui sont progressivement privatisés (routes, parkings, …) Dans ces territoires périphériques, le capital spatial est important. Pour lui, ce qui ne me semble pas faux, les centres se ressemblent entre eux, tout comme les périphéries se ressemblent entre elles (paysages, fonctions, espaces, formes d'habiter).
Il clôt cette partie sur l'urbanité en France sur un constat contre-intuitif : la ville est le territoire le plus durable (densité, mixité sociale, avancées écologiques).
Dans son troisième chapitre, Jacques LEVY se penche sur la justice spatiale en France qu'il jug sévèrement insuffisante au détour de quelques critères et cartogrammes : la politique de la santé, par sa logique concentrationnaire actuelle crée des inégalités entre territoires ; la politique du logement est également inégalitaire : les aides actuelles (hors SRU) abaisse la mixité sociologique, il faudrait selon lui augmenter le niveau d'urbanité dans les quartiers isolés (ce qui semble une solution intéressante). De même, la carte scolaire (ou plutôt son abandon progressif) est également porteuse d'inégalités socio-spatiales, tout comme les mobilités (Jacques LEVY plaide pour un droit à la mobilité mais aussi un droit à l'immobilité – il estime justement que la mobilité est un bien public qu'il ne faudrait pas privatiser). Enfin, il estime que l’État ne joue pas assez son rôle de réducteur des injustices spatiales : les péréquations qui se font à l'échelle nationale réduisent les inégalités entre régions mais pas entre espaces de même ordre : entre villes-centre d'une part et périphéries d'autre part. Il propose de changer la donne en redistribuant les richesses entre centres et périphéries.
Un encart de trois pages vient ensuite pour montrer que notre grille de lecture est dépassée :
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nous sommes un pays urbain, il faut l'assumer.
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L'Etat se pense encore comme un empire, il doit se penser autrement et pousser à une réelle décentralisation fondée sur la confiance entre ses différentes entités centrales ou lointaines (R.U.P, Corse, …)
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Il faut enfin dépasser le découpage administratif hérité et passer à des nouveaux découpages administratifs.
Bref, nous sommes les héritiers d'une grille de lecture datant du XIX° siècle qui fait une part trop belle à la ruralité (4% des habitants).
Le quatrième et dernier chapitre rappelle les plus belles heures de la géographie appliquée (ou active) : Jacques LEVY propose un nouveau contrat géographique. Pour cela, il faut initier un débat autour de la justice spatiale en mettant l’État en mouvement (i.e. Abandonner les héritages administratifs) et aller vers un fédéralisme basé sur 5 niveaux, 5 échelles : la ville / la région / l’État / l'Europe / le Monde. Ce nouveau découpage est associé à des innovations de gouvernement des territoires et doit aller vers plus d'interterritorialité. Une mise en place (un programme) est proposé en fin d'ouvrage.