En voilà une question qu'elle est bonne ! Et une réponse qui n'est pas simple, enfin si : pour réussir le Capes, je ne peux vous recommander que de lire le plus possible … donc de lire tous les manuels à votre disposition. Cependant, il faut bien reconnaître que les manuels mis à votre disposition en ce début décembre 2017 ne sont pas très nombreux sur la question de l''Afrique du Sahel et du Sahara à la Méditerranée.
A cette date, j'ai lu trois manuels (classés par ordre alphabétique des auteurs) :
Julien Andrieu (dir.), L'Afrique : du Sahel et du Sahara à la Méditerranée, ellipses, 2017, 312 pages (en vente dès septembre). [Appelé ensuite Andrieu]
Armelle Choplin, Nora Mareï et Olivier Pliez (dir.), L'Afrique du Sahel et du Sahara à la Méditerranée, Atlande, 2017, 236 pages (publié en novembre). [Appelé ensuite Choplin/Mareï/Pliez]
Brigitte Dumortier (dir.), L'Afrique : du Sahel et du Sahara à la Méditerranée, Armand Colin, 2017, 287 pages (sorti en novembre) [Appelé ensuite Dumortier] … que je remercie publiquement pour l'envoi gracieux d'un exemplaire.
Ces trois ouvrages sont diversement utiles. Il faut les lire tous les trois, libre à vous ensuite de ficher ce que vous voulez (ceux qui me fréquentent savent que je ne loin d'être un gourou … heu, pour ceux qui n'ont pas compris le super jeu de mot géographique, lisez : http://www.hypergeo.eu/spip.php?article619).
Je vous conseille de commencer par la lecture de l'introduction des trois manuels. D'abord celle du Choplin/Mareï/Pliez qui vous apportera une vision d'ensemble très utile : réflexion sur les termes d'Afrique méditerranéenne, de (Grand) Maghreb, de Sahara et de Sahel. Armelle Choplin y pose les grands enjeux du sujet (économiques, démographiques, sociaux, géopolitiques, …). Celles de Brigite Dumortier et de Julien Andrieu sont plus axées sur la présentation du livre, mais elle vous apporteront tout de même des lignes à suivre, des idées de problématiques.
Un deuxième temps pourra être consacré à réfléchir au sujet par l'entrée épistémologique, toujours dans le Choplin/Mareï/Pliez, chapitre 1 (des savoirs à déconstruire). Certes il est surprenant de commencer un apprentissage par la déconstruction, mais il est vrai que ce travail de prise de recul par la construction de ce sujet d'étude par les géographes et par la culture scolaire est passionnant et très utile. N'oubliez pas que vous préparez un concours d'enseignement, pas un concours de connaissances. Lisez surtout ce qui concerne les enjeux scientifiques actuels et les enjeux de la géographie scolaire ... utile pour vos écrits et pour vos oraux aussi.
On pourra continuer ses lectures par l'ouvrage de Dumortier dans son ensemble, le seul qui cherche à donner de l'unité à ses propos tout au long du livre (c'est un plus pour entrer dans la complexité des pistes de lecture ; n'oubliez pas que l'on commence toujours par entrer dans un sujet par des généralités, avant de complexifier ses connaissances). J'ai trouvé le plan très cohérent, avec beaucoup de croquis et de cartes utiles. C'est certainement l'ouvrage le plus documenté, celui qui vous offrira le plus d'arguments utiles pour les écrits comme pour les oraux et votre culture personnelle. Les auteurs sont très connus … où à connaître si vous n'avez jamais lu/vu leurs noms : Ali Bensaâd, Philippe Cadène, Jacques Charlier, Marc Côte, Gérard-François Dumont, Brigitte Dumortier, Roland Pourtier : des spécialistes qui ont su souvent être accessibles. Certes, certains chapitres prennent parfois la forme d'un catalogue de lieux et d'informations (sur les dynamiques urbaines, chapitre 6, où il me manque une vision globale : n'y a-t-il que des cas particuliers ? ; idem chapitre 7 sur les façades portuaires, sans vision vraiment globale, synthétique), mais j'ai aussi adoré trois chapitres particulièrement (sur 10, c'est pas mal), celui consacré à la santé (chapitre 3) qui vous offre des informations que vous ne lirez pas ailleurs sur la transition sanitaire de ces pays et sur les liens entre transformations sociales et mobilités dans le changement sanitaire (les éléments naturels viennent après). J'ai aussi dévoré le chapitre 8 sur les grandes vallées alluviales, qui pose la question d'une éventuelle révolution verte dans la région, et qui est très bien illustré par des cartes précises. Le troisième chapitre qui m'a plu est celui consacré aux circulations migratoires qui, comme dans les autres manuels, nous met en garde contre une lecture européo-centrée du sujet et qui met en évidence l'existence ce réseaux, notamment les réseaux mauritaniens, dans l'organisation des itinéraires de circulation (et donc pas seulement de migration).
Le Choplin/Mareï/Pliez est plus difficile à lire (écrit plus petit, moins de croquis, plus dense). Si l'introduction et le chapitre 1 posent bien les enjeux du livre, le reste paraît plus éclaté (comme le savoir de nos élèves?) malgré un classement en 4 autres chapitres (Milieux et environnement ; Recompositions économiques et territoriales ; Circulations et mobilités ; Géopolitique). Là aussi, vous trouverez quelques pépites à lire absolument comme la partie sur les burkinabés en Italie écrit par Sylvie Bredeloup (chapitre 4 - le seul texte qui évoque des espaces du Sahel, Sahara et Méditerranée au delà des territoires du sujet. Si les diasporas sont parfois évoquées sous l'angle des remises et d'un horizon européen difficile à atteindre principalement, ce qui est intéressant dans ces 4 pages c'est de retrouver l'Afrique sahélienne hors d'Afrique … à creuser). De même, le très bon travail de Julien Brachet sur Dirkou et les oasis (chapitre 4) m'a beaucoup plu, tout comme la partie sur les places marchandes en Afrique du Nord (chapitre 3). Le dernier chapitre (géopolitique) est très riche, avec une douzaine de parties. Les trois premières se perdent un peu dans les méandres de cette science annexe de la géographie qu'est l'histoire (c'est un défaut qui affecte nombre de géopoliticiens), mais les autres contributions sont très utiles. J'ai bien aimé celle sur le lien entre l'urbanisation et les printemps arabes (de Romain Stadnicki, pages 178-182), partie stimulante.
Le troisième manuel, dirigé par Andrieu m'a d'emblée moins plu : pourquoi partir de la nature (climato, biogéographie, paléoclimats) pour finir par la nature (les enjeux environnementaux de l'eau, de la désertification, du changement climatique et de la protection de l'environnement) ? Ce choix très naturaliste est, comme il se doit, questionné et remis en question : la lecture zonale du sujet est à dépasser, à déconstruire. Heureusement, c'est ce que font les nombreux auteurs de ce manuel qui se révèle très intéressant. Cela est d'autant plus vrai que les chapitres sur ces thèmes vous seront très utiles. De plus, cet ouvrage vous apportera des éclairages sur l'oléiculture (chapitre II.2, qui sort du prisme trop basique d'une agriculture vivrière vs une agriculture d'exportation et qui vous permettra de sortir du piège d'une agriculture dépendante de l'extérieur … c'est à dire nous, les occidentaux), sur les villes et l'urbanisation (chapitre II.5), sur les systèmes agropastoraux (chapitre II.4) sur une révolution démographique (chapitre III.1) ou encore sur la lutte contre la pauvreté (chapitre III.2). En bref, un troisième ouvrage très intéressant aussi ! Je profite de cette tribune pour saluer Sandra Rome croisée il y a quelques années à Corte et monsieur André Humbert qui fut un de mes enseignants à Nancy dans les années 1990.
Ce tour des manuels ne serait pas complet sans un regard critique sur leur contenu, lié aux sources et aux auteurs : rares sont les auteurs d'Afrique du nord ou des États du Sahel. Sont-ils si mauvais ? De plus, et c'est en lien, les informations des manuels portent principalement sur l'ouest de la région étudiée : peu d'informations sur le Soudan (chapitre IV.3 dans l'Andrieu ; chapitre 5.3 sur Khartoum dans le Choplin/Mareï/Pliez), trop peu sur l’Égypte (au delà du Caire, et encore seulement présentée comme une monstruopole ou l'aménagement des villes nouvelles, et de la vallée du Nil au point de vue agricole), peu aussi sur le Tchad, un État pourtant clé dans la région au point de vue politique.
Enfin, j'ai trouvé que les auteurs consacrent trop peu de place (mais je connais les contraintes éditoriales) :
sur la place de la France dans ces régions : celle de notre armée (assez présente), celle d'entreprises privées (Orange, Boloré, Bouygues, Areva, Total, ... je ne vais pas citer tout le CAC 40), celle de médias français publics ou privés, celle de l'aide au développement, etc.
Sur un découpage qui, après avoir déconstruit le zonage naturaliste, construit un autre zonage. En effet, s'il y a beaucoup d'éléments et d'informations qui montrent la diversité de ces territoires (cela se voit par le nombre de parties, de sous-parties très ciblées), je regrette des regroupements qui dépassent cette trilogie zonale. Ne peut-on pas voir dans cette région du monde quatre ou cinq grands ensembles : le nord-ouest maghrébin, l'ouest sahélien, l'est sahélien, le Machrek et le centre saharien ? Cinq territoires qui ont des logiques spatiales, culturelles, politiques, économiques, sociales diverses, qui sont séparés par des limites à expliciter, qui ne regardent pas toutes dans la même direction : leurs échanges économiques, culturels, politiques ne sont pas tournés vers les mêmes directions, etc.
sur la variété et l'évolution des cultures en place (au delà des minorités). On trouve quelques éléments sur la construction des identités nationales, mais peu sur les sentiments d'appartenance à des groupes sociaux (Nation, ethnie, langue, religion) alors que les habitants de ces territoires s'urbanisent.
Sur la fabrique des villes, de l'urbanité en création, avec ses rugosités et ses avancées. Au delà des bidonvilles et autres quartiers informels, posez vous la question des paysages urbains en présence et en construction, des voiries et des espaces publics (ailleurs qu'en Afrique méditerranéenne), de la circulation des informations (médias, réseaux sociaux), des CBD en construction et des projets pharaoniques.
Sur les innovations issues de ces régions : le progrès vient-il d'ailleurs (Chine, Europe, États-Unis) ? Alors que les musiques, le cinéma, la littérature y sont quand même aussi riches, que le Sénégal cherche à développer l'Internet à haut débit sur son territoire, que le Caire est une capitale culturelle et économique grâce à ses revues, ses éditeurs, son cinéma, etc.
sur les enjeux des populations au delà des mers : l'existence de diasporas est certainement à questionner, non seulement sous l'angle des remises, mais aussi sous l'angle des échanges, transferts culturels 'nord-sud' mais aussi est-ouest (Chine, Moyen Orient) et 'sud-sud' (avec le Golfe de Guinée, l'Afrique centrale, l'Afrique du Sud)
Bien sûr, ces critiques n'engagent que moi et je les pose comme des pistes de réflexion et de recherche dans vos travaux de préparation. N'oubliez pas que ce que l'on demande à un enseignant, c'est d'avoir un esprit critique basé sur des connaissances sérieuses et argumentées. La réflexion est une posture nécessaire et enrichissante (que l'on peut appeler problématique ou autrement). Dans vos lectures, intéressez vous à ce qui est écrit, et à ce qui ne l'est pas … et cherchez ce qui n'est pas écrit (mais dans des sources sérieuses, c'est à dire validées par des scientifiques).