Introduction :
Importance de la connaissance de l'histoire de la science : pour les étudiants, mais aussi parce que le concours tel qu'il existe depuis 2011 l'exige : l'épreuve sur dossier est une épreuve qui veut mettre en relation les connaissances scientifiques des étudiants avec leur connaissance des programmes et surtout avec leur connaissance de l'histoire de la discipline et des enjeux épistémologiques ou scientifiques.
Le cours vise donc à mettre en place des cadres pour y intégrer par la suite des éléments plus complexes.
1- Vers une géographie scientifique (avant le XIX° siècle)
La géographie est liée à la condition humaine, elle en même consubstantielle. Les humains ont vite remarqué l'importance de se repérer dans l'espace :
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pour assouvir des besoins primaires (cultiver, paître les troupeaux dans les meilleurs lieux, s'habiller, trouver de l'eau douce, ...) ;
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par curiosité, pour voir ce qu'il y a de l'autre côté des collines ou de la mer ;
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enfin parce que les activités humaines l'ont poussé très vite à faire du commerce avec d'autres.
Très vite, les humains se posent donc des questions :
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sur le monde habité (l'oekoumène ou écoumène),
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sur les limites de la terre,
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sur sa forme,
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ou encore sur les logiques qui organisent ce monde qui les entoure, sur leur environnement.
Jusqu'au XVIII° siècle, trois questions dominent en Occident :
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La Terre fut-elle créée pour les humains ? => pour le vivant ? Ainsi le vivant occupe-t-il toutes les niches écologiques ? Quel doit être le lien entre les humains et la nature ? => il s'agit donc d'une vision téléologique.
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Le climat exerce-t-il une influence déterminante sur les sociétés ? Leurs activités, les caractéristiques physiologiques des humains (taille, teint, ...) et mentales (équilibre, grossièreté, ...) sont elles liées à ce climat [Cf HIPPOCRATE (460-377) : les lieux influencent les Humains, les peuples tout comme ils sont influencés par l'air et l'eau]. Du coup, en unissant eau +air + feu (chaleur) + Humains : on a une géographie qui se veut globale. Cela est vrai jusqu'à Jean BODIN (1529-1596) et les naturalistes du XIX° siècle.
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Quelles action humaines faut-il pour s'adapter au milieu ou modifier l'organisation de son espace ? On conçoit déjà l'humain comme un agent géographique qui met en valeur un espace par l'agriculture, l'artisanat, les arts, ... => cela pousse à écrire des traités d'agronomie (grecs et romains), à se demander si construire des villes, des colonies, des défrichements remet en cause l'ordre divin, l'organisation divine du monde. Il faut attendre l'Humanisme au XV° siècle pour commencer à séparer la science de la religion, l'étude de la nature de la théologie ... et Darwin au XIX° siècle pour remettre en cause la vision téléologique du monde.
1.1. Les Humains à la découverte du monde
Quatre logiques guident cette découverte du monde :
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la logique économique (le commerce) ;
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la logique militaire (conquérir, dominer) ;
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la logique politique (administrer) ;
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une ambition scientifique : mesurer la Terre, la situer dans l'univers.
1.1.1. La chorographie et la cosmographie antique.
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La chorographie = repérage et description des lieux ; On trouve chez les Grecs des récits de périples ("naviguer autour" en grec) :
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L'Illiade et de l'Odyssée ;
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HERODOTE (484-425) dans l'Enquête ("Historié") qui décrit les traditions, les comportements de humains et aussi les milieux géographiques propres aux peuples d'Asie mineure, d'Egypte, de la mer Noire, de la Mer Caspienne, d'Europe Centrale. C'est un citoyen actif qui participe à la fondation d'une colonie (THOUROI) dans le sud de l'Italie, et qui aide à renverser la tyranie dans sa cité (HALICARNASSE) ;
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STRABON (63av -25ap JC) qui vient d'Asie mineure mais qui se met au service de l’œuvre civilisatrice de Rome. Il écrit une Géographie en 17 volumes qui décrit le monde centré sur la Méditerranée.
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La cosmographie = description raisonnée du monde céleste (avec liens fréquents avec la mythologie + l'astrologie) ;
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On peut retenir le travail de l’École de Milet avec ANAXIMANDRE DE MILET (610-547), disciple de Thalès qui formule l’idée d'une sphère céleste tournant autour de l'axe des pôles. Dans ce système, la Terre est en équilibre dans un espace infini appelé ‘”Apeiron”. La Terre est plate et a la forme d’un cylindre trois fois plus large que haut en lévitation dans l’air.
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Il faut souligner le rôle important d'ERATOSTHENE (276-194), astronome, mathématicien et directeur de la bibliothèque d'Alexandrie qui réalise la première carte du monde connu vers 220 (avant JC). Il serait aussi l'inventeur du terme "géographie". C'est lui qui évalue la circonférence de la terre entre Alexandrie et Syenne (Assouan) et calcule une circonférence de 39 375 km au lieu de 40 075,02 km …
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ATTENTION, l'idée très répandue que la connaissance de la sphéricité de la Terre se serait perdue ensuite et n'aurait été admise à nouveau qu'au XIIIe siècle est fausse. Le monde ancien et le monde du Moyen Âge ont considéré la Terre comme ronde. On note cependant quelques résistances ecclésiastiques dans ce domaine : saint Augustin et Isidore de Séville tiennent à la conception d'une terre plate. Au IXe siècle, le théologien Jean Scot ÉRIGÈNE est aussi catégorique que Bède le Vénérable un siècle plus tôt : la Terre est ronde. Il convient cependant de tenir compte de l'écart entre les connaissances des personnes instruites et les croyances populaires.
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La géographie est alors considérée comme la science de la description des lieux :
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PTOLEMEE (100-180 ap JC) rédige la Synthaxe mathématique en 13 livres qui est aussi appelée la Très Grande (sous entendu Composition) par les traducteurs arabes ou encore l'Almageste. Il y reprend les théories passées (sphéricité, mouvements, ...). Il rédige aussi deux autres oeuvres : la Tetrabible (axtrologie) + la Géographie (un inventaire de 8 000 lieux connus). Selon lui, à chaque peuple correspond un "climat" = une localisation ... et un climat est meilleur : le climat méditerranéen, ce qui explique la supériorité de ses peuples. Le monde décrit par PTOLEMEE s'élargit : de Gibraltar jusqu'à l'Extrême Orient, via la route de la soie. Sa méthode est utilisée jusqu'au XV° siècle pour construire les cartes + un méthode qui s'intéresse au long terme, et néglige l'histoire immédiate, donc des monographies descriptives qui ont une fonction éphémère.
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1.1.2. Du Moyen Age au XVIII° siècle
Durant cette période, l'aire de la terra incognita se réduit :
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les itinéraires , les côtes, ... sont mieux connus ;
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les Européens découvrent l'Amérique, naviguent dans l'Océan Indien puis l'Océan Pacifique ;
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quelques récits de voyages marquent les esprits, comme celui de Marco Polo (1255-1324).
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Une meilleure connaissance de l'Est :
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On peut souligner le travail des géographes arabo-musulmans vers l'Océan Indien :
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Logiquement, ils ont une vision islamocentrée de la Terre (tant au point de vue spatial que théologique. Une vision aussi unitaire jusqu'à l'an 1 000, puis, face aux divisions de l'islam en plusieurs États et empires, vision morcelée.
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• IBN BATTUTA en 1356 rédige le Cadeau précieux pour ceux qui considèrent les choses étranges des grandes vielles et les merveilles des voyages.
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AL IDRISI en 1154-57 écrit l'Agrément de celui qui est passionné pour la pérégrinnation à travers le monde. Il répond à une commande du roi Roger II de Sicile et repend les récits de voyage de ses prédécesseurs mais y ajoute des contribution de correspondants (voyageurs, marchands, militaires, ...). Il reprend la division du monde d'Hippocrate (humeurs) et de Ptolémée, mais son originalité tient au fait qu'il associe la connaissance géographique du monde musulman à celle de l'Europe. Sa méthode est systématique : il décrit toujours les productions, le commerce, les merveilles, les distances, l'habitat, les ressources en eau, l'artisanat, les marchés, …
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Chez les Chrétiens du Moyen Age aussi, voyages et Grandes découvertes à partir du XIII° siècle hors d'Europe (= hors de la Méditerranée, car pèlerinages) Ils sont toujours initiés par les mêmes raisons : commerce ou diplomatie :
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Les pèlerinages vers Jérusalem au Moyen Age commencent au IV° siècle : la première visiteuse de marque fut sainte Hélène, la mère de Constantin, qui se rendit à Jérusalem vers l’an 330. Petit à petit, des guides écrits expliquent aux pèlerins le voyage, comme le récit dit de l'Anonyme de Bordeaux (333). C'est la plus ancienne description d’un pèlerinage en Terre sainte par un chrétien d’Occident. Cet homme dont on ignore le nom partit de Bordeaux en direction de Jérusalem. Il nota scrupuleusement toutes les étapes de son itinéraire et laissa ce précieux Itinerarium Burdigalense qui servit certainement de guide à de nombreux pèlerins. Le texte original en latin se compose principalement d’une liste de localités et la distance les séparant. Les localités sont subdivisées en villes, lieux de séjour et relais où le voyageur pouvait s’arrêter, se reposer, prendre un repas, ou seulement changer de monture avant de poursuivre la route.
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Des voyages vers l'Asie, comme celui de Guillaume de RUYSBROECK (ou RUBROUCK) initié par St Louis pour gagner l'alliance mongole et prendre l'islam à revers [1253-1255] il suit les expéditions de Jean Plan Carpin [1244] et André de Longjumeau [1249].
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Bien sur, Marco POLO (1254-1324) qui part à 17 ans, accompagné de son père et de son oncle vers l'Asie. Ils atteignent la cour mongole de Koubilaï Khan en 1275. Marco Polo devient un haut fonctionnaire de la dynastie Yuan (la dynastie mongole) qui domine alors la Chine ; il sera aussi ambassadeur du Grand Khan auprès du roi de Ceylan. Marco Polo rentre à Venise en 1295. Capturé par les Gênois en 1298, il rencontre en prison l'homme de lettres Rusticello qui rédige d'après les souvenirs de Marco "Le livre des merveilles" qui connaît très vite un énorme succès. Une controverse récente a eu lieu sur le fait de savoir si Marco Polo avait bien été en Chine ou non. Mais les meilleurs spécialistes actuels ne doutent pas de la véracité du voyage en Chine de Marco Polo. Son travail est reconnu à partir du XV° siècle seulement.
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Des découvertes à l'Ouest : les Grandes Découvertes.
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ATTENTION, ce terme de « Grandes Découvertes » ne regroupe que les expéditions de Christophe COLOMB à Vasco de GAMA au sens strict [1492-1499] => découverte de l'Amérique par CC + de la véritable route des Indes par Vasco de GAMA + circumnavigation de MAGELLAN.
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On rappelle que c'est l'erreur d’appréciation de POSODINIOS et de PTOLÉMÉE qui a permis le départ des caravelles de Christophe COLOMB.
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Ce qu'on peut en retenir :
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L'intérêt économique : des nouvelles sources de richesses potentielles + débouchés commerciaux / pas de volonté de conquête ou de colonisation alors.
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Des raisons politiques : la constitution d'empires parallèles qui ont suivi la Reconquête ibérique empire portugais à l'Est, empire espagnol à l'Ouest (traité de Tordesillas – 1494).
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Des raisons religieuses : les missions.
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Une deuxième période de découvertes suit au cours du XVI° siècle, celle qui est menée par les nouvelles puissances concurrentes anglaise et française :
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Jacques CARTIER [1534-35], BARENTS [1594], HUDSON [1610], BAFFIN [1616] en Amérique du Nord : exploration + premières cartographies + premières implantation (Québec 1608), de + en + dans les terres ;
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vers le Sud et un continent Austral :
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Le comte de BOUGAINVILLE fait le tour du monde entre 1766 et 1769 + publie en 177l un "Voyage autour du monde" qui décrit Tahiti, la Nouvelle Guinée, les Moluques, l'île Maurice. Apparaît alors les mythes du "bon sauvage" (cf JJ ROUSSEAU), de "l'état de nature" (idée induite de "l'état de nature" : la colonisation leur apportera du bon).
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James COOK, qui découvre la Nouvelle Zélande + l'Australie orientale + les côtes du Pacifique Nord.
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Le comte de la PÉROUSE poursuit le même objectif entre 1785 et 1788 (date de sa disparition dans les Nouvelles Hébrides) => Australie + côtes nord du Pacifique (Japon, Sibérie orientale)
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1.2. Une géographie au service du pouvoir.
1.2.1. De la découverte à la mesure du territoire et à sa maîtrise.
La maîtrise du territoire est une préoccupation des rois et des souverains sur leur propre territoire, comme le montre le voyage de Charles IX en France entre 1564 et 1566, trois ans pour découvrir son royaume et asseoir son pouvoir auprès de la pop° et surtout des parlements locaux et des oligarchies urbaines locales.
De même, le nombre d'enquêtes augmente pour répondre à des besoins fiscaux et militaires :
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sous Philippe Auguste [1165-1223], + de 100 enquêtes ;
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enquête de Louis IX en 1247 sur l'état de son royaume ; enquête de 1328 (État des paroisses et des feux) => premiers fondements statistiques, même si on est pas dans la géographie réellement.
Les cartes sont encore peu utilisées au Moyen Age : on leur préfère le récit , la liste des noms de lieux, de villes, ... Au XV° siècle, le royaume de France mesure 22 jours de long sur 13 jours de large. Mais à la fin du Moyen Age, deux nouvelles pratiques cartographiques apparaissent :
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l'usage des portulans pour les navigateurs ;
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l'utilisation des cartes dont on perçoit alors le rôle politique, comme la Charte Gallicane d'Oronce FINE en 1523, considérée comme la première carte de France (en fait il montre la Gaule) => volonté politique car cette carte est destinée à être montrée [0,95 x 0,68 m], elle représente la Gaule jusqu'au Rhin + Italie du Nord, c'est à dire les lieux de combat et les conquêtes de François 1er …
Conséquence de cette prise de conscience de l'importance de la carte par les rois, on assiste à la création du poste de "géographes du roi" comme Nicolas de NICOLAÏ qui a pour mission de cartographier tout le royaume, province par province, ce qu'il fait entre 1567 et 1573.
De cette accumulation de cartes découle l'apparition des atlas qui sont alors faits à la gloire des souverains conquérants. Les auteurs les plus connus sont :
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ORTÉLIUS = Theatrum Orbis Terrarum (1570) qui regroupe des cartes au format homogène, issues de divers pays d'Europe occidentale. ;
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MERCATOR (Gérard Kremer) est publié par ses fils en 1595 (il meurt un an plus tôt) = atlas plus précis.
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Bien sûr, la famille CASSINI qui fonde la cartographie scientifique en France et en Europe. 182 feuilles au 1/86 400° où l'on applique pour la 1° fois la triangulation. Travail achevé en 1744 mais les dernières feuilles sont publiées en 1815.
A retenir sur ce travail des Cassini : le lien avec la constitution de l’État moderne, car coïncide avec la création de l'administration des ponts et chaussées, les corps d'ingénieurs des fortifications, des polytechniciens. On peut aller jusqu'à dire que c'est la première synthèse exhaustive et scientifique de la Nation.
A associer aussi à une ambition économique et sociale (commercialiser les surplus agricoles de certaines régions, rendre les rivières navigables, construire des ponts et canaux, grands chemins, etc. On note le changement de rôle de la géographie : elle s'émancipe de la nature pour se rendre utilitaire dans l'aménagement des territoires.
1.2.2. Vers une géographie politique
La fin de la guerre de Trente Ans (1648) fonde l’État moderne en Europe. Celui-ci a besoin de cadres territoriaux précis : des frontières. Le territoire devient un enjeu politique et religieux.
En France, cela se traduit par le travail de VAUBAN soumis au roi en 1699-1700 et publié en 1707 : Projet d'une dîme royale. Le but est d'établir une fiscalité juste, équitable. La rédaction de cet atlas qui localise les traits physiques et humains recensables permet de mieux connaître la géographie du royaume. Le but est aussi de compter la pop° du pays, d'évaluer la richesse de chaque généralité. Pour cela, un questionnaire et une méthode d'enquête sont mis en place.
=> Est-ce, comme l'écrit Jean GOTTMANN en 1952, la méthode qui inspirera les plans et
questionnaires de monographies régionales d'Albert DEMANGEON après 1909 ?
1.3. Peut-on parler alors d'une science géographique ?
Science = [dictionnaire Le Robert] « l'ensemble de connaissances, d'études d'une valeur universelle, caractérisées par un objet (domaine) et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables ».
On ne peuut donc pas encore parler de science, car si les connaissances augmentent, la méthode n'est pas en place. Elle fait l'objet de tâtonnements :
1.3.1. Les apports des Lumières, l'idée de progrès.
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Vers les Lumières :
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VARENIUS (1622-1650), un Allemand installé aux Pays-Bas, publie une Géographia generalis. Il distingue deux approches de la géographie :
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une approche cosmographique (répartition zonale des faits connus) ;
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une approche des spécificités locales appelées par lui "géographie particulière" ou géographie spéciale".
Il fait donc une distinction entre géographie générale et géographie régionale, trois siècles avant l'école de Géographie classique française !
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Philippe BUACHE (1700-1773) propose une lecture systématique de la structuration de l'espace terrestre selon les bassins fluviaux, limités par les montagnes qui constituent des interfluves. Si BUACHE prend des libertés face aux réalités scientifiques (il propose des rubans montagneux fictifs), il est cependant passé à la postérité car
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il a le soucis de généralisation,
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il se fonde sur des études de géographie physique forte,
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il pense que la géographie est utilitaire (pour lutter contre les inondations parisiennes, il étudie la Seine ; pour répondre à une demande de CHOISEUIL, il prépare un plan de colonisation de la région de Kourou en Guyane).
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Avec les Lumières,
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les méthodes changent grâce :
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à l'utilisation plus systématique des outils créés auparavant (thermomètre [GALILÉE -1597], baromètre [TORRICELLI - 1643], statistiques après l'italien Giovanni BOTERO [Relazioni Universali - 1591-95] ;
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aux travaux du suédois Carl LINNÉ (1707-1778) qui est à l'origine de la taxinomie (science des lois de la classification) => classement des animaux et végétaux en genre et espèces.
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à l'interprétation des relations entre les sociétés et la nature dominée par la question récurrente de "l'ordre naturel" => comment expliquer les organisations sociales (Dieu ou les lois propres aux sociétés ?).
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Des apports de la philosophie :
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Emmanuel KANT (1742-1804) qui prend en compte dans sa pensée du temps et de l'espace comme faits, éléments mesurables, propres à la condition humaine. pour lui l'histoire est une science chronologique et la géographie une science chorologique (l'étude de la répartition géographique des espèces vivantes et de ses causes). Pour KANT, la géographie est préparatoire (propédeutique) pour la science connaître le monde tel qu'il est perçu) et la vie en général (connaître la monde permet de mieux y vivre). Ainsi la géographie se divise en deux aspects majeurs :
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la "géographie physique" qui est en fait une géographie générale.
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la géographie comme discipline synoptique, discipline de synthèse.
Attention, Kant n'est pas un géographe, il n'apporte aucune connaissance factuelle. cependant, sa pensée influencera les géographes allemands puis français au XIX° siècle.
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MONTESQUIEU dans l'Esprit des lois en 1748 s'appuie sur deux idées majeures :
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les densités de pop° ne sont pas proportionnelles aux conditions naturelles mais aux conditions de mise en valeur.
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L'importance et même la domination de l'organisation politique et sociale sur les différences de peuplement.
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BUFFON dans les Epoques de la Nature (1778) apporte deux idées générales :
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l'empreinte des sociétés sur la nature permet d'évaluer la qualité d'une civilisation.
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cette empreinte est d'autant plus efficace que l'action qui explique cette empreinte respecte les lois de la nature.
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Jean Jacques ROUSSEAU dans Le Contrat social (1762) explique que les insuffisances locales des ressources agricoles peuvent être palliées par le développement du commerce, des arts et de l'industrie.
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1.3.2. La géographie française du XIX° siècle : la géographie comme science naturelle.
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Le XIX° siècle est le siècle de la naissance de la géographie en tant que science, principalement autour de deux logiques :
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l'étude des relations verticales (entre l'atmosphère et la biosphère et la lithosphère). Il s'agit d'une approche synthétique du milieu naturel ainsi que d'une étude de la mise en relation des groupes humains avec le milieu naturel (cela imprègne la géographie française jusqu'au milieu du XX° siècle) ;
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l'étude des relations horizontales (la circulation entre les lieux : on pose alors les problèmes de relation entre les groupes et les lieux).
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Cela induit des problèmes de méthodologie :
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La méthode utilisée alors est uniquement idiographique (étude des particularismes, des études de cas), ce qui pousse les géographes à rédiger des monographies qui montrent la spécificité des lieux => la géographie régionale (ou aujourd'hui géographie des territoires) ;
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C'est une géographie nomothétique (étude de la recherche des lois générales) qui observe ce qui se passe sur la surface de la Terre => une géographie générale (aujourd'hui, géographie thématique).
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Cela pose aussi des problèmes d'échelle de travail : C'est à l’échelle régionale que l'étude des relations verticales et horizontales se fait le plus facilement. Exemple la thèse de Jean BRUNHES : L'irrigation. Ses conditions géographiques, ses modes et son organisation dans la péninsule ibérique et dans l'Afrique du Nord (1902). => une thématique globale sur deux territoires différents mais analogues.
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Cela pose des problèmes de diffusion de ce savoir : ce sont les débuts des manuels scolaires. Ils reprennent soit l'approche générale (LEVASSEUR, DUBOIS), soit l'approche régionale (VIDAL de la BLACHE, CAMENA D'ALMEIDA).
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Parallèlement, comme dans toute l'Europe, les premières sociétés de géographie se développent en France.
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La société la plus connue est celui de la Société de Géographie, une des plus vieilles Sociétés savantes françaises, fondée en 1821 et la plus ancienne Société de Géographie au Monde. (les autres sociétés sont plus jeunes: Berlin (1828), Londres (1830), Francfort (1836), Mexico (1859), St-Pétersbourg (1845), New York (1852), Vienne (1856), Genève (1858) etc).
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La Société de Géographie a de multiples activités :
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ses publications, dont depuis 1822 une revue tantôt mensuelle tantôt trimestrielle, qui en est à son 1508e numéro, des ouvrages jubilaires en l'honneur des plus éminents de ses membres universitaires, et un répertoire périodique de ses sociétaires,
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des conférences mensuelles,
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l'attribution de prix assortis de médailles,
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des colloques,
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des expositions,
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des visites et voyages,
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l'accueil à Paris des géographes étrangers.
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Elle patronne encore aujourd'hui des expéditions comme celles de La Boudeuse
Elle a couronné les plus grands explorateurs et savants français et étrangers: René CAILLIÉ, DUMONT D'URVILLE, BARTH, LIVINGSTONE, STANLEY, SAVORGNAN de BRAZZA, NANSEN, MARCHAND, CHARCOT, AMUNDSEN, PEARY, de FOUCAULD, Albert Ier de Monaco, Paul-Emile VICTOR, COUSTEAU, MONOD, MALAURIE, Jean-Louis ETIENNE, Albert et Bernard PIQUARD, FRANCHESCHI, etc.
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En province, d'autres sociétés apparaissent, il en existait 32 au début du XXe siècle, quelques-unes restent encore actives: Bordeaux, Lille, Marseille, Rochefort, Toulouse, Tours. Elles comptent plus de 18 000 membres.
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Au XIX° siècle, la géographie est alors considérée comme une nomenclature, un exercice de mémoire sans réflexion (cf l'introduction du Cours élémentaire de géographie en 1828 par le général LETRONNE : elle est "composée presque entièrement de faits qui ne sont pas liés entre eux par cet enchaînement qui existe dans d'autres disciplines.").
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Ainsi, lorsqu'Auguste COMTE détermine les sciences en 1838, il ne compte pas la géographie. Il détermine et hiérarchise six sciences fondamentales, chacune d'entre elles dépendant, pour son développement, de celle qui la précède ; les mathématiques, l'astronomie, la physique, la chimie, la biologie et la sociologie. Elles constituent le système général de connaissance que son "cours de philosophie positive" tente de coordonner. La philosophie a pour but d'unifier la connaissance et d'en faire la synthèse face à la dispersion des disciplines qui constitue un danger pour la science.
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Seule exception, Eugène CORTAMBERT propose une place spécifique à la géographie (et à l'économie) ; il la situe à la jonction entre les sciences physiques et les sciences humaines (ou "sciences morales" = histoire, religion, philosophie). Il classe la cartographie dans les sciences graphiques.
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La géographie va bénéficier des apports des autres sciences, notamment des sciences naturelles :
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A noter la place importante de Conrad MALTE-BRUN (1775-1826) qui réunit à Paris une vaste documentation qui lui permet d'écrire un "Précis de la Géographie Universelle" (C'est la première des 4 GU) en 7 tomes, publiés entre 1810 et 1829. Proche de CHATEAUBRIAND et inspiré par le romantisme, il rédige une géographie descriptive et littéraire => tableaux pittoresques. C'est un succès énorme, le Précis de la GU est rééditée en 1832 - 1852 - 1855 – 1858.
Malte-Brun est aussi le cofondateur et directeur général de la Société de géographie de Paris (1821) à laquelle il désigne deux objectifs principaux : organiser des voyages ; publier des travaux de géographes de "cabinet" pour mettre en relation les observations dispersées.
MALTE-BRUN se borne à une géographie descriptive, refusant tourte explication (œuvre divine)... Selon Numa BROC, (1994-95 - Regards sur la géographie française de la Renaissance à nos jours, Presses Universitaires de Perpignan), la démarche de MALTE-BRUN a certainement freiné la recherche scientifique française en lui donnant l'illusion d'être une science finie.
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Autre apport majeur du début du XIX° siècle : les travaux d'Alexandre de HUMBOLT (1769-1859). Explorateur infatigable, il voyage en Allemagne, dans la Cordillière des Andes, en Italie, en Russie. Sur place, il multiplie les mesures (températures, pression, altitude, ...) et observe les faits avec minutie cherchant à saisir les interactions entre les phénomènes naturels à la surface de la Terre. Il travaille avec des zoologistes, des physiciens, des astronomes, des naturalistes comme BONPLAND qui signe 15 des 30 volumes du Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent relatant leur voyage entre 1799 et 1804 en Amérique du Sud et édité entre 1814 et 1825. Cette œuvre monumentale se divise en sept parties, dont l'une, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, constitue la première étude d'économie politique que l'Europe possède sur l'Amérique. HUMBOLDT, installé à Paris, approfondit ensuite les observations qu'il a réalisées en Amérique sur les variations du champ magnétique terrestre et le phénomène des tempêtes magnétiques.
Ses recherches sont à l'origine de :
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L'analyse de la répartition de la végétation selon le critère physionomique = étagement de la végétation dans les Andes ;
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La notion de "formation végétale" ;
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La distinction entre roches endogènes et roches exogènes (des profondeurs / de surface) ;
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La création de stations météorologiques en Asie du Nord.
Il participe à la création de la Société de géographie de Paris.
Il est plus naturaliste que géographe, plus proche d'une écologie que d'une sociologie => proche de Carl RITTER.
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Carl RITTER (1779-1859) étudie en Allemagne les sciences naturelles et la philosophie. Il en tire deux choses :
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Le concept de relations organiques = on ne peut comprendre la fonction d'un organise que si on le considère dans un ensemble, ie le corps.
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L'idée de combinaison des différents éléments (eau, air, ...) et d'harmonie universelle.
Il fait peu de voyages, car c'est surtout un penseur qui inspire les géographes par trois idées fortes :
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Celle du tout : on ne peut comprendre un phénomène terrestre que si on le replace dans un contexte global, terrestre. => en découlent des interdépendances, des combinaisons.
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Cette idée d'interdépendance mène à la prise en considération de la position relative de chaque partie de la surface terrestre par rapport au reste du globe.
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Enfin, la mise en relation de l'homme et de la nature éclairent de façon déterminante l'histoire des peuples. Les configurations spatiales expliquent les formations politiques. = un déterminisme naturel "l'homme est le miroir des secrets de la nature".
Son influence est considérable en France, aux EU
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Autre influence naturaliste, celle de Charles DARWIN (1809-1882) après 1859 et L'origine des espèces dans lequel il exprime l'idée de :
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la sélection naturelle, la compétition entre les espèces où les ressources sont limitées.
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il n'y a pas d'intervention divine mais des aléas, des hasards qui conduisent à des nécessaires adaptations fortuites.
Son apport à la géographie : pas l'évolution en elle même, mais surtout le lien entre milieu naturel et les formes du vivant.
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Ces idées retrouvent celles de Jean-Baptiste de Monet de LAMARCK (Philosophie Zoologique, 1809). Le courant néo-lamarckiste marque les géographes français du XIX° siècle, notamment l'idée que l'organisme réagit aux conditions du milieu (chez DARWIN, l'organisme subit, chez LAMARCK, il y a adaptation, réaction). Cela évite ainsi le déterminisme : le vivant a sa part de réaction, ce qui permet de voir des différences dans des milieux proches. Du coup, efforts, initiative et habitudes sont à prendre en compte dans l'adaptation : L'initiative naît d'un effort qui doit être consenti par les êtres vivants et les résultats obtenus sont cimentés par l'habitude.
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On glisse vers la géographie en tant que telle avec HAECKEL et RATZEL à la fin du XIX° siècle :
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Ernst Heinrich HAECKEL (1834-1919) est zoologiste et médecin. Il est le créateur du mot écologie pour désigner les relations entre les animaux et le milieu. (1866).
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L'homme-clé de la période est Friedrich RATZEL (1844-1904) : Il fait le lien entre idée d'adaptation au milieu et géographie humaine. zoologiste, journaliste, voyageur (France, Europe, États-Unis où il découvre l'espace et son importance). A retenir :
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Il place l'homme au cœur de la géographie, au milieu de la nature, cf l'Anthropogéographie (1882 ; 1891 en France) où il distingue les peuples de nature, soumis à leur milieu, et peuples de culture qui maîtrisent et dominent l'environnement grâce à leur organisation politique notamment.
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C'est le créateur de la géographie politique (1897 : Politische Geographie) où il combine trois éléments : l'espace ; la position ; le "sens de l'espace" (un caractère biologique inégalement distribué dans le monde : plus un peuple en possède, plus sa place doit être grande dans le monde ...) => idée de Lebensraum (espace de vie, espace vital) à voir dans sa pensée comme une idée relevant de la biogéographie, pas de l'impérialisme.
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1.4. La géographie et la République française.
1.4.1. Une science au service de la patrie
La géographie est mise à contribution par la III° République et son nationalisme : il faut non seulement célébrer les grands hommes qui ont fait la France (histoire) mais aussi célébrer les richesses du territoire national, l'harmonie entre le sol et les hommes, l'enracinement de la société française à son terroir. Les valeurs de Nation et de science se mélangent : pour consolider l'unité nationale, il faut proposer une morale laïque fondée sur des valeurs de la patrie et les fonctions émancipatrices de la science.
Cependant, la géographie était enseignée dans les écoles avant 1870 : Victor DURUY, ministre de l'Instruction Publique met en place un enseignement secondaire en 1863 qui met l'accent sur la géographie au détriment du latin.
Mais c'est après 1870 que la géographie entre en force dans l'enseignement : Louis-Auguste HIMLY (seul titulaire d'une chaire en géographie alors, à la Sorbonne) et Émile LEVASSEUR sont chargés de proposer une mission d'inspection sur l'enseignement de la géographie en France et d'éventuelles modifications. En plus de la révision des cartes, ils proposent deux choses :
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articuler géographie physique, géographie économique et géographie politique grâce à une analyse.
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le contenu doit être placé sous le signe des idéaux républicains sous forme de valeurs morales => la géographie est présentée comme un attachement à la patrie.
Cet enseignement n'est pas dispensé à tous : un quart des lycéens suivent des cours de géographie en 1880 (on lui préfère le latin, langue de thèse secondaire). De plus les recommandations sur la méthode ne sont pas suivies => développement du plan à tiroir dans les manuels.
La mise en place de la géographie à l'université :
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Au XIX° siècle, la géographie reste rare à l’université : une seule chaire de géographie (à la Sorbonne créée en 1809) jusqu'en 1896. Cet enseignement universitaire est alors consacré uniquement à la géographie historique (ex : VIDAL DE LA BLACHE à Nancy consacre ses conférences à Thucydide et aux historiens grecs).
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C'est donc l’École Normale Supérieure (ENS) qui joue un rôle majeur dans la diffusion de la géographie dans les élites de la Nation surtout après 1877, date à laquelle VIDAL DE LA BLACHE y est nommé. Il y enseigne jusqu'en 1898.
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Si les thèses sont dirigées à la Sorbonne par HIMLY, les étudiants ayant suivi auparavant les enseignements de VDB appliquent ses leçons.
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En 1899, VDB est remplacé par son élève et disciple Lucien GALLOIS qui poursuit son travail et peut même diriger des thèses de normaliens à cette date.
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De plus, l'ENS ne forme pas que des enseignants, mais aussi d'autres intellectuels (journalistes, avocats, hommes politiques) qui reprennent ces idées.
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La géographie va profiter aussi de l'expansion coloniale pour accroître sa diffusion :
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Avec des conférences ou des cours des sociétés de géographie sur les espaces coloniaux : à partir de 1871, la Société de Géographie de Paris se place dans l'optique colonisatrice et veut apporter un soutien au mouvement colonial.
En 1896, les Républicains réorganisent l'université en 15 universités, une par académie. Le nombre de chaires de géographie passe de une en 1870 à 5 en 1890 (Paris, Lyon, Nancy, Bordeaux, Caen) et 15 en 1900.
1.4.2. Quelle géographie à la fin du XIX° siècle ?
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L'école allemande :
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Rôle de l'institut (privé) de géographie de Gotha : Justus Perthes Geographischer Ansalt qui a permis d'éditer des atlas d'après les travaux de HUMBOLDT et de PETERMANN (Stieler Handatlas) + des revues qui servent de modèle en Europe : le Petermanns Mitteilungen et le Géographisches Jahrbuch. (8 à 9 000 titres référencés chaque année).
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Les éditeurs français reprennent ce modèle allemand : Les éditions Armand Colin éditent des cartes murales + des manuels scolaires mais surtout aussi les Annales de géographie (1891) et la Bibliographie géographique Universelle (1894) qui devient ensuite la Bibliographie Géographique Internationale ; = 800 à 900 titres recensés chaque année).
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Les universitaires français, et VDB le premier, se rendent à Leipzig ou Berlin pour faire des "voyages initiatiques"
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Elisée Reclus (1830-1905) :
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Républicain convaincu, il étudie en Allemagne, notamment à Berlin (cours de RITTER) passe plusieurs années en exil (sous le Second Empire jusqu'en 1856 puis après la Commune) en Suisse où il rédige la Nouvelle Géographie Universelle entre 1876 et 1894 en 19 volumes. (un succès de librairie car il possède une bonne plume et dispose de bonnes informations grâce à un vaste réseau de correspondants. Enfin, il connaît le terrain grâce à de nombreux voyages).
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Si on le connaît par ses positions libertaires, cela ne se retranscrit pas trop dans ses écrits géographiques sauf dans l'Homme et la terre (1905, date de sa mort).
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Son travail va vers une géographie sociale : rapports entre les hommes et leur milieu, lutte des classes et inégalités. Le colonialisme est aussi présent dans ses œuvres, il dénonce ses excès et distingue colonies de peuplement (progrès économique et social) et colonies d'exploitation (condamnables car mainmise sur foncier et mines et car pousse à plus d'inégalités sociales).
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Sa pensée :
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Les lois de la nature ne dictent pas tout, mais il faut respecter celles-ci car elles sont bonnes et procurent le bonheur.
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Il innove dans géo urbaine : il souligne la forme régulière des villes dans un milieu uniforme ; l'espacement entre les villes est lié à la distance-temps ; vision hygiéniste des villes (à améliorer, notamment en enlevant les industries, ...) ; regrette l'urbanisation des campagnes, …
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Son influence reste faible jusqu'aux années 1970, car hors du circuit universitaire. => reconnu après 1970, notamment par la revue Hérodote.
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Ludovic DRAPEYRON (1839-1901) qui crée la Société de Topographie en 1876 (excursions + cartes) + la Revue de Géographie en 1877, mais échoue à deux projets :
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créer une école normale spécialisée dans la géographie (1884-85) ;
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créer une agrégation de géographie distincte de l'agrégation d'histoire et de géographie (1886)
Son échec est lié à l'opposition de HIMLY (ne pas séparer histoire et géographie) mais aussi à l'idée que le développement de la géographie ne peut se faire que par l'université.
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Emile LEVASSEUR (1828-1911) qui est chargé de créer les programmes de géographie après 1870. Son originalité repose sur trois idées :
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La géographie doit étudier les rapports entre milieu naturel, homme et le système économique. Ces trois éléments formant une chaîne ;
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Les liens entre ces trois maillons de la chaîne ont été formés progressivement par les Humains ;
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Ce travail humain résulte de choix propres à chaque société.
Retenir aussi son apport méthodologique: il examine la répartition des densités de pop° : pour lui, la formation des densités se fait sous forme non pas d'un étalement en tache d'huile mais sous l'angle de la cristalisation. Ainsi, il formule une loi : la puissance d'attraction des villes est proportionnelle à la masse de leur pop°.
Son influence est peu importante car ne dispose pas de relais, comme une revue ou une influence universitaire. (aucun article dans les Annales de Géo par exemple)
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A noter que c'est à cette période qu'est écrit et diffusé Le tour de la France par deux enfants de Giordano BRUNO (Augustine TUILLERIE) en 1877 (Belin). On considère qu'il fut lu par 8,7 M d'enfants entre 1882 et 1914.
L'histoire décrit le tour de France de deux enfants orphelins quittant la Lorraine occupée (Phalsbourg) après 1871. C'est un long voyage glorifiant les forces économiques du pays, mais qui rend aussi hommage aux grands hommes ; Chaque chapitre est précédé d'une courte maxime morale ; Enfin la géographie telle qu'on la conçoit alors est omniprésente : paysages, agriculture, industrie, cartes (18 cartes des provinces). On est hors du champ scientifique et universitaire, comme dans les livres de Jules VERNE mais cela permet de construire un imaginaire géographique fort.
2. PAUL VIDAL DE LA BLACHE et la création de l'école française de géographie (ou géographie classique ou géographie vidalienne).
2.1. Le créateur de la science géographique en France ?
2.1.1. Sa carrière : Un brillant universitaire de la fin du XIX° siècle
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Il naît en 1845 à Pézenas, il y obteint son baccalauréat puis étudie à l'ENS, est reçu premier à l’agrégation d'histoire en 1866. Il choisit alors de passer par l'école française d'archéologie d'Athènes (1867-1870). Il devient donc spécialiste en histoire ancienne, c'est un très bon littéraire qui soutient sa thèse d'histoire en 1872 sur l'histoire grecque (Hérode Atticus - un rhéteur grec et grand mécène / l'autre en latin sur les titulatures funéraires grecques en Asie mineure).
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Il est nommé à la faculté des Lettres de Nancy en 1872, une chaire rapatriée de Strasbourg et requalifiée « chaire d'histoire et de géographie ». VDB demande et obtient de n'enseigner que de la géographie, il s'initie alors aux œuvres de RITTER et de HUMBOLDT. Du coup, se rend en Allemagne en 1874 à Gotha, Berlin, Leipzig.
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En 1877, il est nommé à l'ENS à Paris il y reste 20 ans. C'est là qu'il fonde réellement son école de géographie par l'influence qu'il va exercer pendant ces 20 ans après des futurs professeurs de géographie de l'enseignement supérieur : Lucien GALLOIS (1857-1941), Jean BRUNHES (1869-1930), Albert DEMANGEON (1872-1940), Emmanuel de MARTONNE (1873-1955), Raoul BLANCHARD (1877-1965), Jules SION (1879-1940), ...
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En décembre 1898, il est élu à la Sorbonne, il peut alors diriger des thèses .Son influence s'étend alors encore, il devient le porte-parole de la géographie en France, c'est pourquoi Ernest LAVISSE , ancien condisciple de lycée et de l'ENS lui demande de rédiger un Tableau de la Géographie de la France, publié en 1903. (introduction à L'Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution -1901).
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En 1909, il quitte la Sorbonne et se consacre à la recherche. Il meurt en avril 1918.
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Il a peu publié : l'enseignement et la réflexion l'emportent sur la rédaction. Deux ouvrages majeurs :
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Le Tableau de la Géographie de la France (1903)
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Les Principes de Géographie Humaine (ouvrage posthume 1921) => reprise d'articles publiées dans les Annales de Géographie ;
On peut y ajouter un troisième ouvrage, secondaire mais qui marque bien le poids de VDB auprès du pouvoir politique républicain :
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La France de l'Est (1917), argumentaire scientifique justifiant l'appartenance de la Lorraine et de l'Alsace à la France.
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On peut diviser son travail scientifique en 2 périodes :
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du début années 1870 au milieu années 1890, un attachement à la géographie historique classique et un soucis pédagogique (il publie des leçons + 44 cartes murales chez A Colin - 1885) ;
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A partir des années 1990, des publications scientifiques avec :
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1891, la création des Annales de géographie ;
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1894, suite au succès des cartes murales : un Atlas ;
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1896, Principes de Géographie générale, le premier article qu'il écrit dans les Annales de Géographie, véritable manifeste, quintessence de la pensée vidalienne selon A.L. SANGUIN.
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Ses articles révèlent 3 centres d'intérêt :
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Les spécificités de la géographie humaine ;
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La régionalisation ou plus exactement les fondements d'une division pertinente du territoire français.
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La présentation et l'analyse du concept de "genre de vie" qui permet de comprendre les relations entre les sociétés et leur milieux.
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2.1.2. Ses idées sont celles d'un homme de son temps :
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Il est partisan de l'expansion coloniale / républicain / nationaliste / dreyfusard.
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Il met aussi ses talents au services des gouvernements qui lui font des demandes de proposition en matière d'organisation territoriale = il participe à un comité d'étude chargé de réfléchir aux frontières d'après la guerre en cas de victoire alliée.
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Sa vision de la géographie :
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Le possibilisme : Pour VDB, la géographie est une explication rationnelle des rapports qu'entretiennent les civilisations avec leur espace. Cela induit l'utilisation d'autres sciences : géologie, botanique, climatologie, ethnographie, statistiques. Ainsi le géographe doit caractériser le milieu par la combinaison des éléments qui composent ce milieu. La société étant partie prenante de ces combinaisons, par son organisation sociale, ses activités économiques, son habitat, ses techniques, ses valeurs culturelles (= tout ce qui fait son genre de vie). Le premier but est de montrer que la diversité des milieux n'a d'égale que la diversité des civilisations. Pour expliquer la diversité du monde et des civilisations, il pense que :
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Les arguments explicatifs sont fondés sur l'articulation des faits naturels et des faits culturels.
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La position des civilisations dépend de l'histoire, de l’accessibilité et des grands courants d'échange ou de circulation.
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Mais la conjugaison des données de nature et la position ne détermine pas le destin des sociétés = les sociétés agissent sur leur milieu, elles ne lui sont pas soumises (ex : domestication des animaux, irrigation, déboisement, ...) => c'est ce que Lucien FEBVRE appelle en 1922 le possibilisme. (qui s'oppose au déterminisme ; choix des sociétés de mettre en valeur ou d'adopter un genre de vie selon le milieu qui l'entoure).
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La géographie s'intéresse donc aussi à la culture des peuples (=> la perception de l'espace = les représentations / les techniques de mise en valeur / les croyances / etc. )
VDB sépare donc deux types de société : les sociétés ouvertes (urbanisme, échanges, ...) et les sociétés fermées (isolées) qui peuvent cohabiter dans un même milieu naturel (exemple en Méditerranée). Il s'agit donc d'une géographie qui essaye de concilier des lois générale et des particularismes locaux.
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La généralité des lois : Comme le dit VDB, la terre est un tout dont les parties sont coordonnées (forte inspiration de RITTER et de HUMBOLDT). Pour cela, il faut une méthode : repérer les analogies à la surface de la terre, par la comparaison, puis établir des lois générales "C'est en Suède et au Groenland qu'a été trouvée l'explication du sol et de l'hydrographie de la plaine d'Allemagne" (Annales de géo - 1899). Du coup, un objet est privilégié : la géographie physique, car les lois de la géographie humaine sont beaucoup plus floues. Conséquence, la géographie de VDB est une biogéographie, une écologie de l'homme (comme il le déclare en 1903).
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Les particularismes = les régions. Pour VDB, l'articulation entre général et particulier se fait simplement : en chaque contrée, l'expression des lois terrestres forme une combinaison spécifique que traduit sa physionomie. => C'est dans les milieux régionaux où ils se localisent. Entre 1888 et 1917, VDB identifie à plusieurs reprises ces entités spatiales.
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En 1888, dans le Bulletin littéraire, il identifie 5 régions en France :
Il néglige alors les périphéries du territoire (Est et Sud-Est). Pour cela, il se base sur 5 critères :
Il utilise aussi d'autres critères plus scientifiques = le concept de région naturelle et la géologie (qui prime malgré tout sur l'ensemble => les limites du bassin aquitain sont ses marges calcaires, l'ouest si particulier socialement et moralement selon VDB, l'est par les relations entre les sociétés et leur sol ou sous-sol, les relations entre sous-sol et littoral ! ...) Il y a une référence naturaliste évidente et un refus des autres formes de division du territoire : il faut montrer que ces divisions régionales sont permanentes, et non politiques comme les provinces de l'Ancien régime ou les départements. |
En 1903, dans le Tableau de la géographie de la France, introduction de l'Histoire de France en 27 volumes de LAVISSE. Il ne fixe pas les critères qui divisent le territoire national. Il identifie alors 4 divisions fondamentales du territoire français :
A un niveau inférieur, il y a des régions naturelles, comme l'Ardenne, les Flandres, le Bassin Parisien, les pays Rhénans, ... définis par la géologie (et quand cela ne suffit pas, l'histoire et la civilisation). => exemple en Normandie, la géologie explique la multitude de pays (pays de Caux, pays d'Auge, pays de Caen, ... ) opposition intérieur - littoral, bocage ou campagnes, ... mais l'unité est politique ccl : une région politique aux frontières artificielles. Dans le livre, il développe aussi l'idée de personnalités régionales nées de combinaisons entre histoire, culture des peuples, villes, voies de communication, vie paysanne. Cela permet de justifier certaines divisions internes aux régions : en champagne par exemple entre le Sud tourné vers Paris et le Nord tourné vers la Flandre et la Picardie. Ces combinaisons permettent aussi de définir des régions-clefs du territoire français : les marches frontières [l'Anjou ou le Maine entre Bretagne et Aquitaine] et les seuils [Poitou] Enfin, à l'échelle locale, les pays, qui n'est pas une notion scientifique selon VDB, mais un document géographique majeur qui s'articule dans la relation hommes - nature. |
En 1910, Les régions françaises : il répond à une demande politique du président du Conseil Aristide BRIAND. Il découpe la France en 17 régions autour de 17 métropoles (Toulouse, Montpellier, Marseille, Grenoble, Lyon, Clermont-Ferrand, ... [+ manquent la Corse et l'Alsace] Ces régions reposent sur le concept de nodalité empruntée au géographe britannique MACKINDER : la ville est un nœud économique qui organise le territoire. |