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Geobunnik

Le blog d'un enseignant qui prépare au CAPES et au CRPE en géographie à l'ESPE de Corse à Ajaccio et Corte.

Jean Paul LOUBES, Tourisme, arme de destruction massive

Publié le 27 Septembre 2015 par geobunnik in epistemologie de la géographie, Tourisme

Voici le livre d'une colère. Une colère dirigée contre le tourisme de masse qui repose sur l'alibi culturel ou patrimonial. Avant de continuer de lire cet article, il faut se garder de juger ce livre à son titre peut-être réducteur et certainement racoleur.Tourisme, arme de destruction massive par Loubes

Jean Paul Loubes a déjà écrit sur les villes d'Asie centrale, notamment celles du Xinjiang chinois dans lequel il dénonçait acculturation de cette région de Chine peuplée de Ouïghours, un minorité musulmane qui – comme les Tibétains – par l'arrivée massive de colons chinois. Comme Jean Paul Loubes est architecte, sa dénonciation s'est faite dans La Chine et la ville au XXI° siècle (à travers une dénonciation de l'urbanisme et des changements architecturaux qu'a connue cette région occidentale de la Chine que les géographes rangent aussi en Asie centrale).

Il faut croire que l'auteur est très en colère non seulement contre les Chinois mais aussi contre le tourisme de masse notamment à travers la labellisation, la « mise sur le marché de biens culturels transformés en ressources touristiques [qui] passe par une destruction d'ampleur variable des économies, des cultures et des individus » et principalement la mise en avant d'une valeur (économique), celle du patrimoine.

 

L'objet de cet ouvrage de 170 pages est donc de dénoncer en 12 chapitres …

  • … l'idée que le tourisme de masse pousse les gens à se rencontrer alors qu'il sert surtout à isoler une partie de la population mondiale (les riches, 'nous') du reste des habitants de la terre (le pauvres, 'eux') ;
  • … la marchandisation des échanges humains par le tourisme (le Pont du Gard devenu un lieu payant, mais aussi la rencontre avec des Massaï au Kenya ou des « ethnies » au Laos) ;
  • … les menaces environnementales provoquées par la concentration de personnes sur des sites touristiques urbains, ruraux, insulaires, littoraux, montagnards, …
  • … l'usage de fac-similés pour développer le tourisme que l'on peut associer à la privatisation de sites pour raison touristique (le Pont du Gard),
  • … la labellisation comme outil de promotion du tourisme de masse, notamment celle de l'Unesco, un tourisme dit patrimonial ou culturel (une culture qui reste superficielle).

 

Pour faire cette démonstration, Loubes s'appuie sur de nombreux exemples tirés de la liste du patrimoine mondial de l'humanité dressées par l'Unesco depuis 1972 (période de l’avènement du tourisme de masse en Occident) :

  • des lieux déformés par et pour le tourisme qui ont perdu leur âme (Saint-émilion, le Potala, Carnac, le Pont du Gard, ...) ;
  • des territoires mis en tourisme (le pays Dogon, la vallée de l'Omo, la Cappadoce, Samarcande et les villes des Routes de la Soie : Turfan, Kashgar, le Canal du Midi, …) ;
  • des lieux créés pour le tourisme : les fac-smilés (la grotte Chauvet, le Mas d'Azil, …) ;
  • des métropoles – qui s'en sortent mieux (Paris, Londres, …)

Logiquement ,vous ne trouverez pas dans cette liste des lieux créés par le tourisme de masse non culturel (stations de ski ou balnéaires, resorts, ports, …), ce n'est pas le propos de l'auteur.

 

Le chapitre 9 est peut être le plus ambitieux et la plus original. Il tente de montrer comment le tourisme est en phase de devenir un nouvelle religion mondiale, avec ses rites, ses lieux de pèlerinage et de culte, mais aussi ses marchands du Temple. Une réflexion intéressante et stimulante.

Ainsi, au de là de savoir à qui profite le tourisme, on peut se demander à quoi sert le tourisme. En pensant aux ouvrages du MIT (Tourismes 1, 2 et 3), on se rappellera que le monde a été mis en tourisme progressivement et qu'il a créé des formes spatiales particulières. Ces lieux sont connectés en priorité aux métropoles, mais ils sont aussi interconnectés et forment un réseau. Cette activité est également fortement liée au capitalisme libéral que nous connaissons (subissons) depuis le début des années 1980 : mise en concurrence à outrance de territoires périphériques pauvres, mobilités fortes aux conséquences agro-environnementales mal perçues (ou délibérément ignorées) par les individus (touristes) et leurs représentants politiques, extension du capitalisme par les crises économiques, environnementales ou politiques (relire David Harvey), domination des choix économiques à court terme sur des décisions globales à long terme qui intègrent les dimensions environnementales, sociales et culturelles à plusieurs échelles.

Comme le reconnaît Jean Paul Loubes, les métropoles s'en sortent mieux. Elles ne sont pas aussi marquées par le tourisme de masse … quoique. En effet, la lecture de l'auteur reste bloquée à l'échelle urbaine, mais pas à l'échelle du quartier : les centres-villes touristifiés, les villes déformées par le tourisme de masse ou encore les ports (et arrière-ports) marqués par le système croisiériste, ce que la massification du tourisme a produit de mieux (ou de pire).

 

Ce livre vous apportera donc deux choses : d'une part la découverte de lieux touristiques que vous e connaissiez peut-être pas (ou pas sous cet angle) et d'autre part une réflexion sur le tourisme actuel et ses dérives productivistes.

 

Jean Paul LOUBES, Tourisme, arme de destruction massive, éditions sextant, 2015

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