Que dire sur un livre aussi riche, aussi argumenté et fouillé (on sent la pratique des lieux nommés et la grande culture de l'auteur), qui a cependant, sous mon oeil naïf, parfois, un côté fouillis. Plusieurs fois, Olivier Mongin évoque la métaphore de la ville comme une forêt décrite par Claude Levy-Strauss ... son livre m'a semblé être une randonnée en forêt : certains passages sont ardus, pentus, parfois on semble tourner en rond alors que l'on avance réellement, on suit des sentiers plus ou moins balisés (lorsqu'il revient sur l'urbanisation du monde, la conteneurisation : des éléments bien connus des géographes) on entre alors dans des clairières où enfin on voit plus clair.
En effet, à la sortie de la lecture de cet ouvrage si utile et si imposant, il me semble que la ville d'Olivier Mongin est à penser, comme une forêt (ou comme tout objet géographique) à la fois de l'intérieur (comprendre son fonctionnement, son émiettement) et de l'extérieur (lire ses paysages, sa globalité). La ville c'est aussi penser l'urbain : comment séparer les deux notions, à la fois du point de vue politique que du point de vue culturel ou phénoménologique. La ville apparaît comme un nouveau cadre de vie (à retrouver dans les écrits de nombreux géographes de l'urbain comme Jacques Lévy, Françoise Choay notamment), un cadre globalisant, une échelle de décisions.
Une ville qui doit aussi concilier :
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le dehors et le dedans de l'habiter
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l'intime et le collectif
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le local et le global
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les pouvoirs de la ville et les pouvoirs de l’État
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les différentes vitesses.
La longue introduction pose les termes de la réflexion sur l'urbain et la ville. J'y trouve une limite dans son raisonnement : les échelles sont souvent mélangées, mal définies. Ainsi, lorsqu'Olivier Mongin propose huit configurations urbaines issues de trois tendances lourdes (des flux qui pèsent sur les lieux ; une mixité qui recule et qui renforce les limites de et dans la ville ; une privatisation des espaces publics). Ces huit configurations (ou figures) emboîtent les échelles, mais ces échelles ne sont pas précises :
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La ville globalisée (qui semble être un isolat, un îlot, comme dans le modèle de la station touristique) est sur-connectée, isolée de son environnement, c'est une vitrine, une ville d'exception hyper-connectée. (Dubaï, Astana, Pudong) ... à le lire, je pense à une échelle urbaine.
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La ville mouvante-pieuvre qui se replie et se déplie sur elle même grâce à ses connexions. Il la définit par trois adjectifs : anarchique, atopique et a-centrée. Johannesburg, Mumbaï, Sao Paulo, Kinshasa. Là encore, je me positionnne à l'échelle de l'agglomération.
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La ville mouvante-nomade qui s'externalise, pousse ses limites sans cesse et dévore son contexte. Los Angeles, Casablanca, Mexico, Buenos Aires. Idem : une échelle de l'agglomération.
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La ville propre, sécurisée, celle des gated communauties ou des condominium. Aïe ... on change d'échelle : celle du quartier ?
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La ville impropre, des enclaves (qui rappelle les anti-mondes définis par Roger Brunet) ; là encore : je ne sais plus à quelle échelle lire la ville : quartier ? agglomération?
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La ville historique. Paris, Bologne : mais ces villes sont-elles totalement des villes historiques où ne sont-ce que des images ?
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La ville en suspens, ville des récits invisibles, de l'imaginaire urbain. Kinshasa. Ah ... retour à l'échelle de la ville.
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La métropole, (qui est pour l'auteur la meilleure des villes), celle qui permet l'articulation des flux globaux et des flux locaux, qui cherche à relier, à « faire monde ». Vancouver, Amsterdam, Nantes, Lyon. On reste alors à l'échelle de l'agglomération.
Ces villes s'imbriquent, se combinent nous dit l'auteur. Cependant, j'ai du mal à voir la différence entre les points 1 et 4 (si ce n'est l'échelle) : la ville globalisée comme la ville sécurisée est isolée, séparée de l'environnement proche et connectée à d'autres lieux qui lui ressemble. Idem entre les villes 2 et 7 : la logique est la même, à savoir l'absence de vue globale et un libéralisme plus ou moins volontaire (issu du pouvoir central ou issu de son absence, comme en RDC). Mais j'y verais clair plus loin (ouf).
A ce niveau du livre (presque 50 des 450 pages rédigées, auxquelles il faut ajouter 100 pages de notes très riches et utiles), il me semble qu'il y a un oubli : celui de la définition de la ville. Si l'urbain est bien défini (un urbain lié au mode de vie, aux mobilités), si l'urbanisation est bien décrite, le terme de ville, tant utilisé dans le livre ne l'est pas. Est-ce à dire que la ville n'est plus qu'un décor ? une illusion ? et que seul l'urbain compte ? On sait ue celui-ci a dépassé la ville pour gagner d'autres territoires moins centraux (périurbains, paraurbains et même ruraux !!!). Mais alors à quoi sert ce mot de ville s'il n'est pas défini ?
L'introduction se termine sur une réflexion nécessaire dans nos sociétés sur la relation entre la ville et l’État.
La première des trois parties du livre « Sous la pression des flux et de la vitesse » cherche à comprendre en quoi la vitesse et les mobilités créent des lieux.
Partant d'une définition de l'habiter bien maîtrisée par les géographes, Olivier Mongin rappelle que la manière d'habiter à évolué notamment sous l'influence de l'industrialisation qui a poussé à une certaine homogénéisation, un nivellement lié à la massification des productions et qui a poussé aussi à une hiérarchie des espaces (zonage, divisions urbaines) autour de deux dogmes : la verticalité et l'angle droit. Un second temps de l'habiter (celui que nous vivons actuellement) a été influencé par la révolution numérique liée à l'exponentialité, la simulation et l'instantanéité de la communication. Désormais, dehors et dedans se confondent, notamment grâce à l'usage des écrans. J'ajouterais que cette dernière évolution fait passer la société à l'ère individuelle, semblant abandonner des siècles de vie collective plus ou moins contrainte.
Un deuxième élément permet d'expliquer notre relation aux villes, c'est la vitesse. En effet, la grande vitesse pousse à une nouvelle lecture du monde, plus frontale, délatéralisée dans laquelle le paysage se rétrécit, voire se dissout. Une grande vitesse qui décontextualise les déplacements.
Troisième élément, le recul de la terre (ou plutôt du terrain) face à la mer dans la mondialisation actuelle : la mer se territorialise et supporte les flux les plus massifs de marchandises.
Enfin, ces flux créent des lieux qui marquent les villes :
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des non-lieux qui ignorent les contraintes physiques ou politiques et qui sont dans le mouvement permanent (les pirates, dans les interstices)
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des hyper-lieux qui sur-territorialisent les flux et qui sont marqués par l'émergence (verticalité, recherche de la hauteur et de la connexion maximale) : des îles, des ports.
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Des milieux qui essayent de relier local et global, c'est ce que les métropoles doivent réussir à réaliser.
La deuxième partie propose de s'intéresser à « Une urbanisation à plusieurs vitesses ». Cette urbanisation nous oblige à penser, à partir des mobilités et des flux principalement, à des nouvelles limites de et dans la ville : les mobilités créent des formes urbaines selon divers scénarios :
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le scénario de l'étalement urbain (urban sprawl), vu comme un nomadisme rampant, aboutit à un quadrillage qui a pour but de dominer les territoires. Le territoire import peu alors car il est pensé, vécu comme provisoire (un territoire de l'herbe, pas de l'arbre). Ce scénario conduit à l'enfermement (« wallification ») et à une séparation forte entre trois territoires de la ville : le centre, le suburbain et le péri-urbain (est-ce si simple ? Pas forcément)
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un scénario d'exo-urbanisme dans lequel la mobilité extrême pose la question de la domination de certains (des sédentaires mobiles) sur d'autres (les migrants poussés à la clandestinité), une mobilité sélective qui survalorise une terre natale.
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Un scénario de la ville générique, une ville sans singularité (sauf dans sa zone patrimonialisée), sans attache où le logement légal dévore le ciel et le logement illégal rampe (voire s'enterre, voir le premier numéro de la revue urbanités) http://www.revue-urbanites.fr/
Dans cette partie, se repose la question de la définition de la ville et de ses échelles, à laquelle l'auteur ne répond pas.
Deuxième réflexion posée par ces mobilités et ces flux, celle de la connexion autour de l'idée que ces connexions ont construit les paysages urbains (dans une première partie où les échelles se télescopent, Olivier Mongin semble dire, comme d'autres – ainsi Michel Lussault ou Denis Retaillé – que le monde et l'urbain se confondent). L'enjeu est de savoir comment connecter différentes vitesses de flux. Ces connexions créent des lieux de connexion où les vitesses se croisent (grande et petite vitesse) : le port, l'aéroport, la ville globale (qui cherche la connectivité maximale) ou la gare TGV : des nœuds qui connectent hypo-urbanisme à hyper-urbanisme aussi parfois (comme les gares TGV) ou encore le rond-point, connecteur par excellence de l'hypo-urbanisme. Ces nœuds qui peuvent aussi servir à contrôler les flux, on pense aux aéroports,(mais ceux qui ont visité la Chine savent que ses gares ont le même rôle).
Une troisième réflexion, que mon petit cerveau a du mal à relier avec le reste de ce chapitre, montre l'importance de l'imaginaire dans la pratique des lieux (ici, l'auteur semble substituer la hauteur à la vitesse). Cette partie néanmoins intéressante montre que dans certaines villes sont configurées par « une architecture du verbe », comme à Kinshasa, Iquitos, Rocinha (Rio de Janeiro). Dans ce cas, la ville n'est pas configurée « par le haut », par le pouvoir (car il est souvent absent) mais « par le bas », don par ses habitants. Bien souvent, ces configurations urbaines permettent d'intégrer les ruraux dans l'urbain, de les urbaniser, de manière plus ou moins informelle via la religion, la sorcellerie, … Cette partie se termine autour de l'idée que les villes enclavées devraient se désenclaver par les réseaux de communication.
La troisième partie du livre, « habiter la ville des flux » se veut pratique et veut penser l'action et l'urbanisme. Elle veut montrer que la mondialisation urbaine doit maîtriser trois grandes tendances : la prévalence de la limite territoriale, la puissance des flux et la tendance à la privatisation. A cela, on pourrait ajouter une polarisation (qu'Olivier Dollfus associe à l'idée d'une oligopolisation) et celle d'une uniformisation des paysages ou des pratiques issues de la révolution industrielle mais aussi de la révolution numérique.
Ainsi, la ville doit se penser à travers habiter le paysage. Une vision phénoménologique (un peu confuse aussi) ou Olivier Mongin nous rappelle la nécessité de penser les villes et les flux dans les paysages, les sites, … la nécessité de re-territorialiser la ville et de penser le paysage en s'extrayant de celui-ci, afin de recontextualiser la ville et surtout ses monuments.
De même, il faudrait aussi penser (pousser à) une mondialisation par le bas y compris dans le domaine de l'urbain et de l'urbanisme dans le but de garder ses spécificités. Ainsi les aménagements doivent être pensés par et pour les habitants et non plus pour des touristes de passage (meilleur moyen que tout se ressemble).
De plus, la métropole (au sens où Mongin la définit dans son introduction) doit être la structure, l'échelle à laquelle se raccordent les divers morceaux de la ville. Il faut arrêter de lire la ville uniquement sous l'angle de l'économie et penser la ville par sa culture, son contexte propre. Il rappelle que la métropole c'est certes une agglomération et un réseau mais c'est aussi un environnement intégré (qui casse l'idée des villes globales isolées, ou plutôt qui complexifie le modèle et qui permet de différencier métropole et mégapole). Olivier Mongin s'inscrit dans l'idée que le processus de métropolisation est constitutif de l'urbanisation et qu'il induit et inclut l'hyper et l'hypo-urbanisme que la métropole doit relier. Il rappelle aussi que la métropole doit penser son gouvernement dans son territoire et face ou avec l’État.
Enfin, la ville habitée doit prendre conscience des places et des espaces publics (face au mouvement de privatisation évoqué en introduction). Il pose la question de la place des monuments en ville, il rappelle l'importance de la rue dans le lien entre dehors et dedans, importance de la place dans le jeu démocratique passé et présent (la connexion informatique, les réseau sociaux ne sont qu'un préalable à la rencontre réelle sur une place, que ce soit pour manifester ou pour tout autre usage de la place publique), le tout dans le but de concilier le Grand paysage avec les autres échelles du paysage. Il finit son propos sur une réflexion sur les musées et le patrimoine à l'échelle mondiale : une réflexion intéressante sur ces nouveaux musées qui se positionnent à l'échelle mondiale (ou internationale ?) et qui permettent une ouverture locale sur le global.
La conclusion revient classiquement sur ce qui a été écrit auparavant à travers la question de la relation qui se construit entre les villes et l’État : les villes doivent-elles remplacer l’État ? Doivent-elles le suppléer lorsqu'il est défaillant ? Les villes doivent garder leur diversité et doivent penser leur démocratie en articulant (nous n'avons pas le choix) local et global tout en se méfiant des forces centripètes (mouvements nimby notamment).
Bref, un livre pas toujours facile à lire mais très riche et très stimulant pour la réflexion ; il offre de nombreuses pistes : place des humains dans la ville, place des lieux dans la ville, place des paysages dans la ville, échelle de gouvernement de la ville, importance de la variété (en général, et dans les villes), importance du lien entre dehors et dedans en urbanisme mais aussi en géographie.
Un livre qui pose une question essentielle pour les années à venir : dans quel monde voulons nous vivre ? Ce monde sera urbain, il sera connecté, mais il sera aussi ce que nous en ferons. A nous de réfléchir à quelle ville, à quelle urbanisation, à quelle mondialisation nous voulons : un Monde de la diversité et du vivre ensemble ou un Monde de l'isolement, de la peur et proche des descriptions d'Aldous Huxley dans Le meilleur des monde ?